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dimanche, 26 décembre 2010

Laurent Schang: la littérature est orphique

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La littérature est orphique

Entretien avec Laurent Schang pour la revue Carbone

Intégralité de l'entretien paru dans le premier numéro de la revue Carbone éditée par Le-Mort-qui-Trompe.

Ex: http://stalker.hautetfort.com/

Laurent Schang : Mais c’est qui, ce Stalker, à la fin ?

medium_Carbone.jpgJ. A. : Drôle de question. Juan Asensio, cher Laurent et, en même temps, personne. Attention, non par goût de l’anonymat, ce nuage malodorant expulsé par tous les lâches de la Toile, puisque mes prénom et nom sont parfaitement visibles sur mon site mais parce que je tente de proposer à tous des textes de qualité qui ne sont point absolument verrouillés par le cadenas du ridicule droit d’auteur. Regardez ainsi, sur les sites de nos personnalités littéraires, les précautions prises pour bien signifier que les textes, souvent minables d’ailleurs, mis à la disposition des lecteurs, ne le sont justement que dans des limites parfaitement établies. Mes textes ne sont protégés par rien puisque, par deux fois regroupés dans des recueils critiques publiés par A contrario et le Rocher, ils proviennent pour l’essentiel de mon travail sur Stalker. Je me moque ainsi, à ma façon, de l’aura de mythologie trouble qui entoure encore la figure de l’auteur même si, je le précise tout de suite, je ne crois pas, comme le pense un Derrida par exemple, que l’auteur soit une horrible réalité qu’il faut à tout prix éliminer. Je conteste simplement cet ignoble cirque dans lequel bien des bouffons, en France, n’ont pas honte d’exhiber (devant quel roi ?) leurs membres difformes, une poignée de journalistes, toujours les mêmes quelle que soit la salle de rédaction, étant désireux de capter un minuscule reflet de la lumière de ces nains pour s’en parer…
Seconde réponse : le titre de mon blog, appelé également la Zone, fait bien évidemment référence à l’un des chefs-d’œuvre de Tarkovski. Je suis donc une sorte de guide (un lanternarius, ai-je précisé dans ma Critique meurt jeune) qui conduit celui qui le souhaite dans la Zone de tous les dangers. Comme le mystérieux personnage du film, je suis un doux, parfois désespéré mais, à sa différence, je puis être très violent.

L. S. : La radicalité de tes jugements, la virulence surtout avec laquelle tu les rends ont contribué pour beaucoup à forger de toi l’image d’un pur, avec ce que cela comporte de positif comme de négatif. Faut-il forcément que le roman traite des questions essentielles à l’Homme, le mal, la mort, le silence de Dieu, bref qu’il soit cet objet tranchant, incommode et sans concession, pour avoir le droit d’être appelé littérature ?

J. A. : Laurent, je ne vois pas de quels autres sujets un livre consacré à la littérature, à tout le moins dit un tant soit peu littéraire pourrait traiter : la place du brushing dans l’œuvre de Florian Zeller, la thématique du moi clitoridien dans celle de Christine Angot, la métaphore de la truie albinos chez Darrieussecq ? Laissons cela à deux classes d’imbéciles : les journalistes et les étudiants qui doivent rédiger un mémoire de maîtrise. Pour ce qui est des romans, ma réponse sera franchement catégorique : toutes les grandes œuvres, je suis bien marri de devoir te le rappeler, n’évoquent que des questions qui, aux yeux de nos littérateurs, paraissent dépassées alors qu’elles sont bien évidemment éternelles, constituant l’essence même de l’art : l’amour, la mort, le mal, Dieu… Étant un affreux réactionnaire, nous y reviendrons, je ne vois absolument rien d’autre.

L. S. : Et que penses-tu de la rentrée «littéraire» de cette année ? Je suppose que par principe tu y es opposé ?

 


J. A. : Je n’en pense absolument rien. Beaucoup de bons livres noyés dans une écrasante majorité de nullités pathétiquement vendues à la criée, comme c’est le cas du dernier déchet angotien, par quelques poissonnières hystériques et ménopausées. La rentrée littéraire n’est, au mieux, qu’une rentrée d’argent. Je dois lire Les Bienveillantes mais, comme tout le monde ou presque décerne des éloges à ce roman d’un jeune premier, j’ai tendance à me méfier. J’ai évoqué sur mon blog le dernier roman de Maurice G. Dantec, Grande Jonction.

L. S. : Bien peu d’auteurs contemporains trouvent grâce à tes yeux, que ce soit dans tes livres ou sur ton site. Que manque-t-il donc aux écrivains d’aujourd’hui pour te plaire ?

J. A. : Un critique est d’abord un filtre, c’est là son office, complétant la mission de vigie que Sainte-Beuve lui avait assignée. Il manque à la littérature contemporaine, dans le cas qui nous occupe c’est-à-dire celui de notre pays, un souffle, une volonté réellement démiurgique de s’enfoncer dans la fosse de Babel évoquée par Kafka et Abellio. La littérature est orphique, avec Faulkner, Broch, Musil, Conrad, Benn, Céline, Sábato et les meilleurs livres d’un Dantec, d’un Védrines, d’un Dupré ou d’une Sarah Vajda. Elle n’est rien de plus qu’une aimable plaisanterie si elle se prétend autre chose. Certes, tu pourras me faire remarquer qu’il suffit de bien peu, aujourd’hui, pour que l’universel reportage se déchaîne à propos d’un livre qui sera immédiatement primé, quelle que soit sa valeur intrinsèque, grâce au phénomène parfaitement évoqué par Julien Gracq dans sa Littérature à l’estomac : une immense Bourse des livres, où bien des valeurs sont victimes d’un dangereux phénomène d’intumescence que l’on nomme une bulle spéculative... Or, tu n’es pas sans savoir que le sort de bien des baudruches est heureusement éphémère. Du reste, je t’invite de nouveau, comme je l’ai déjà fait à plusieurs reprises n’est-ce pas, à écrire des textes sur des auteurs contemporains qui recevraient tes faveurs puisque je ne peux, tout de même, étant donné la taille de l’immense cadavre sur lequel je suis penché, prétendre connaître toutes celles et ceux qui survivent, et même parfois, comme avec Guy Dupré, l’un des plus grands écrivains français vivants, qui vivent d’une vie plus belle et forte que celle, frénétique et vaine, qui agite tous nos petits Sollers électriques.

L. S. : D’aucuns te répondront que fidèle à son rôle, la littérature se contente d’être le reflet de son époque, et qu’on ne saurait par conséquent lui intenter un procès au simple prétexte des thèmes qu’elle aborde. En résumé : à période de crise, crise du roman.

J. A. : Ces belles âmes auront tort, puisque nous traversons une époque absolument fascinante, qui engage probablement, pour ce que nous pouvons savoir de ces signes mystérieux (apotropéens, disait Massignon) dissimulés de toutes parts, le destin de l’Occident comme bien peu d’autres époques l’ont fait avant la nôtre. Soyons sérieux cher Laurent car, si nous comparons, par exemple, les livres écrits actuellement par des auteurs français avec ceux de bien des romanciers anglo-saxons, ce sont des gouffres intersidéraux qui séparent les ambitions affichées par ces écrivains. L’épopée ridicule et affreusement égotiste tournant autour d’un nombril (lorsqu’il ne s’agit pas d’un orifice moins avouable…) chez les premiers, une vision de l’homme et de la société tout de même chez les seconds, avec Selby Jr., DeLillo, Tosches, Vollmann, Pynchon, McCarthy, etc. Considère d’ailleurs le fait, qui n’est sans doute pas dû au hasard, que les écrivains français les plus intéressants du moment, Dantec et Houellebecq, ont tous les deux quitté la France. Dantec, que j’ai revu à l’occasion de cette rentrée littéraire, me disait récemment qu’il revenait en France comme dans un pays qui lui était désormais étranger. Laurent, soyons sérieux. La tâche de la littérature, la tâche de l’art est et ne peut être que celle de forer une époque jusqu’à lui faire cracher son cœur obscur, certainement pas de s’amuser de tout. Dans chaque romancier doit ou plutôt, hélas, devrait se cacher une espèce de Marlow qui, comme le personnage de Conrad, n’hésiterait pas un instant avant de remonter le cours du fleuve dangereux qui le conduira, peut-être, vers le royaume des ténèbres. Le risque bien sûr, pour Marlow, est de mourir…

L. S. : Tu fustiges la presse. Crois-tu que la critique littéraire était d’un niveau tellement meilleur il y a vingt, trente ou cinquante ans ? N’est-ce pas là le travers propre à tous les conservateurs, en art comme ailleurs, de toujours considérer que «c’était mieux avant» ?

J. A. : Te répondre, c’est tacitement admettre que je suis ou serais un conservateur. Je ne conserve rien, ayant fait depuis longtemps mien le précepte d’un grand critique littéraire anglo-saxon, Harold Bloom, qui affirmait que tout grand artiste, pour produire ses propres œuvres, ne devait pas hésiter à «ruiner les vérités sacrées». Un critique doit faire de même et, pour détruire, il faut bien qu’il témoigne de quelque fort méchante humeur : je ne suis tout de même pas, Dieu m’en préserve, quelque espèce de clone sans chaleur comme Gérard Genette. Plus qu’un conservateur, je me vois davantage comme un «réactionnaire authentique», au sens que Gómez Dávila conférait à ces termes : comme lui, je quête les signes de Dieu. Ces signes sont disséminés dans le présent bien sûr, mais aussi dans le passé (d’où ma volonté, peut-être démoniaque et surtout vaine, de tout lire) et le futur : les plus grands livres sont comme des augures qui nous permettent, à condition de savoir lire, de lever quelque peu les brumes qui recouvrent notre avenir. Considère ainsi que la magistrale série de romans imaginés par Frank Herbert, Dune, annonçait dès les années 60, sous les ordres de Paul Atréides/Muad’Dib, un déchaînement de violence religieux qui est non seulement, à l’évidence, l’un des traits majeurs de notre présent mais surtout celui de notre avenir le plus proche. Certes, tu auras beau jeu de me faire remarquer que Frank Herbert a écrit des romans de science-fiction : il fallait donc bien, peu ou prou, que ses œuvres anticipassent quelque peu notre avenir. Prenons un autre exemple : Monsieur Ouine, l’un des plus grands romans sans doute du siècle passé. Notre avenir crépusculaire y est contemplé, comme si Bernanos s’était déplacé dans le paysage désolé peint par Rouault dans son Miserere. Autre exemple, la parabole célèbre du Grand Inquisiteur telle que l’a génialement imaginée Dostoïevski : eh bien, dans mille ans, je me dis que ce texte sera probablement médité par nos très lointains descendants, à condition qu’ils survivent au danger de l’uniformisation globale, cette dévolution peinte par Dantec dans Grande Jonction.
En outre, si le réactionnaire est du côté d’une certaine permanence de la tradition (quitte à ce qu’elle soit contestée, sous peine de se scléroser), il estime aussi que l’idée, portée en triomphe par la philosophie des Lumières, selon laquelle l’humanité est jetée dans une course infinie au Progrès, est dangereuse, voire meurtrière. C’est pour cette raison que je n’ai jamais aimé Maurras et sa clique de vieilles biques, tous ces impeccables fanatiques de la Raison, pour leur préférer, dans le domaine des sciences historiques tout du moins, des auteurs tels que Vico ou Herder. D’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si ces auteurs ont été sensibles à la beauté des langues, comme l’ont été Hamann, Benjamin ou encore Scholem. Maurras, lui, tu le sais, était sourd ; il devait être probablement myope aussi, nous poserons la question à son médecin traitant, Stéphane Giocanti (1), si l’on considère ses goûts en matière littéraire.

L. S. : Tu connais cette phrase de Kléber Haedens : «Un critique qui n’a jamais écrit de roman est un lâche.» Ton avis sur la question ?

J. A. : Phrase idiote s’il en est, qui plus est extraite de son contexte, donc doublement idiote. Les romans d’Haedens, qu’il s’agisse d’Adios ou de L’été finit sous les tilleuls, ne m’ont point laissé un souvenir impérissable d’ailleurs; il eût mieux valu peut-être, pour cet auteur, de demeurer lâche et de parachever son œuvre critique. Du reste, je ne vois guère de différence ontologique entre une critique inspirée (il y en a tout de même quelques-unes) et un grand roman (il y en a beaucoup) : la même volonté de création est à l’œuvre dans les deux cas, la forme seulement diffère.

L. S. : Tu te définis comme critique (et) chrétien – à toi de me préciser s’il y a lieu la nuance entre les deux. Ta foi déclarée – je pense en particulier à ta contribution au collectif Vivre et penser comme des chrétiens – intervient-elle en quelque façon dans ton analyse critique des oeuvres ?

J. A. : La tradition chrétienne, par sa pratique multi-séculaire de la lectio divina, formidablement développée et perfectionnée durant le Moyen Âge, est éminemment critique. Elle a bien évidemment nourri tous les écrivains, penseurs et philosophes occidentaux, y compris (peut-être même : surtout) ceux qui, comme un Derrida, ont prétendu combattre l’hégémonie d’une tradition logocentrique. Appartenir, par toutes mes racines, à cette tradition, peut-être est-ce là une chance unique pour qui prétend, comme moi, se nourrir de livres, poursuivre l’œuvre consistant à s’entregloser selon Montaigne. En outre, je ne me suis jamais défini que comme un chrétien paradoxal et un critique qui l’est tout autant. Chrétien et critique des marges ou, comme on le disait dans le temps, des marches : je me tiens aux marches du royaume, au seuil de la Chambre des miracles décrite par Tarkovski. Je ne crois pas qu’il y ait, en France, beaucoup de personnes faisant profession de critique qui ne soient pas des journalistes ni même des hommes de l’Alma mater. Je ne suis ni l’un ni l’autre, même si ma formation doit beaucoup à l’Université et aux classes préparatoires. Quant à ma foi, je ne l’ai jamais déclarée et je me demande en quoi pareille annonce intéresserait mon prochain. Je n’ai publié que mon doute et la violence de ma recherche, de mon désespoir peut-être qui, bien sûr, ne peuvent qu’influencer mon travail critique dans le choix des œuvres que je commente. Je cherche Dieu dans l’art et ne le trouve pas, nouvelle évidence qui a taraudé un Baudelaire, un Huysmans ou un Claudel, puisque l’art, icône du divin lorsqu’il accepte d’accomplir sa mission, se tient devant la Face du Créateur. Me reste donc à accomplir le saut qualitatif dont parlait Kierkegaard.

L. S. : Plus qu’une affirmation, une aspiration à la foi donc. À plusieurs reprises également, tu as affiché ton soutien à la politique d’Israël, dont tu expliques l’histoire, y compris la plus récente, par la métaphysique. Ne crains-tu pas de défendre une interprétation réductrice et peut-être même dangereuse, sachant que l’ambition première des fondateurs du sionisme avait été de faire du peuple juif enfin un peuple comme les autres ?

J. A. : Oui, une telle opinion est sans aucun doute dangereuse mais le rôle métaphysique d’Israël n’est-il pas de rester planté, comme une écharde dans la chair de l’humanité, pour nous obliger à nous souvenir que nous ne sommes que poussière ? Israël est un danger pour l’humanité, mais pas comme le pensent les fanatiques islamistes et les imbéciles dans nos propres pays : l’existence de ce petit pays est un danger en ceci qu’il nous empêche de sombrer dans l’animalité dédouanée de Dieu. Israël est une sorte d’impératif catégorique intimant aux hommes l’ordre de se tenir debout. Il constitue, à lui tout seul (qu’importe qu’il y ait, parmi ses habitants, comme dans n’importe quel autre pays, des putains, des crétins, des fous, des meurtriers; qu’importe encore que, par paresse, nombre de citoyens de ce petit État n’aspirent bien souvent plus qu’à vivre comme le dernier des beaufs européens…), il est comme l’image trouble du Reste métaphysique évoqué par les prophètes et récemment commenté par Agamben.

L. S. : Maintenant je te repose la question : qui faut-il lire aujourd’hui ?

J. A. : Lire ou relire, aujourd’hui comme hier, comme demain : les écrivains que j’ai cités, et Trakl, Celan, Dostoïevski, Shakespeare bien sûr, et Dante, Melville, Cervantès, Kraus, Bernanos, Canetti et Gadenne, Lowry, De Quincey, beaucoup d’autres encore. En fait, Claudel avait parfaitement raison d’affirmer qu’à mesure qu’il vieillissait, il ne faisait plus que relire. Ainsi, toutes les années ou presque, je relis Macbeth, Cœur des ténèbres, Monsieur Ouine et un des admirables romans de Paul Gadenne. Peut-être les relirai-je jusqu’à ma mort… Aujourd’hui, des auteurs tels que Sebald (décédé dans un accident de la route en 2001 je crois), Kertész ou, dans la sphère philosophique, Agamben et Legendre, les écrivains nord-américains que j’ai mentionnés plus haut, voilà quelques exemples d’auteurs qui me paraissent être dignes d’attention… Il serait plus pertinent, peut-être, de me demander celles et ceux qu’il ne faut absolument pas lire car tu te doutes que leur nombre est beaucoup plus élevé que ceux des écrivains de race.

Je remercie Axelle Felgine de m'avoir autorisé à reproduire cet entretien.

Note :
Stéphane Giocanti, Charles Maurras. Le chaos et l’ordre (Flammarion, coll. Grandes biographies, 2006).

samedi, 25 décembre 2010

Hommage à Saint-Loup

Hommage à Saint-Loup

Pierre VIAL

Ex: http://tpprovence.wordpress.com/

Il y a vingt ans aujourd’hui disparaissait Saint-Loup. En la mémoire de ce héros, nous publions un texte de Pierre Vial, L’Homme du Grand Midi, paru dans Rencontres avec Saint-Loup, publié par l’association des Amis de Saint-Loup. C’est du même ouvrage que sont extraits les illustrations de Marienne.

L’Homme du Grand Midi

europe-saint-loup.jpgJ’ai découvert Saint-Loup en décembre 1961. J’avais dix-huit ans et me trouvais en résidence non souhaitée, aux frais de la Ve République, pour incompatibilité d’humeur avec la politique qui était alors menée dans une Algérie qui n’avait plus que quelques mois à être française. On était à quelques jours du solstice d’hiver – mais je ne savais pas encore, à l’époque, ce qu’était un solstice d’hiver, et ce que cela pouvait signifier. Depuis j’ai appris à lire certains signes.

Lorsqu’on se retrouve en prison, pour avoir servi une cause déjà presque perdue, le désespoir guette. Saint-Loup m’en a préservé, en me faisant découvrir une autre dimension, proprement cosmique, à l’aventure dans laquelle je m’étais lancé. à corps et à cœur perdus, avec mes camarades du mouvement Jeune Nation. Brave petit militant nationaliste, croisé de la croix celtique, j’ai découvert avec Saint-Loup, et grâce à lui, que le combat, le vrai et éternel combat avait d’autres enjeux, et une toute autre ampleur, que l’avenir de quelques malheureux départements français au sud de la Méditerranée. En poète – car il était d’abord et avant tout un poète, c’est-à-dire un éveilleur – Saint-­Loup m’a entraîné sur la longue route qui mène au Grand Midi de Zarathoustra. Bref, il a fait de moi un païen, c’est-à-dire quelqu’un qui sait que le seul véritable enjeu, depuis deux mille ans, est de savoir si l’on appartient, mentalement, aux peuples de la forêt ou à cette tribu de gardiens de chèvres qui, dans son désert, s’est autoproclamée élue d’un dieu bizarre – « un méchant dieu », comme disait 1’’ami Gripari.

J’ai donc à l’égard de Saint-Loup la plus belle et la plus lourde des dettes – celle que l’on doit à qui nous a amené à dépouiller le vieil homme, à bénéficier de cette seconde naissance qu’est toute authentique initiation, au vrai et profond sens du terme. Oui, je fais partie de ceux qui ont découvert le signe éternel de toute vie, la roue, toujours tournante, du Soleil Invaincu.

Chaque livre de Saint-Loup est, à sa façon. un guide spirituel. Mais certains de ses ouvrages ont éveillé en moi un écho particulier. Je voudrais en évoquer plus particulièrement deux – sachant que bien d’autres seront célébrés par mes camarades.

Au temps où il s’appelait Marc Augier, Saint-Loup publia un petit livre, aujourd’hui très recherché, Les Skieurs de la Nuit. Le sous-titre précisait : Un raid de ski-camping en Laponie finlandaise. C’est le récit d’une aventure, vécue au solstice d’hiver 1938, qui entraîna deux Français au-delà du Cercle polaire. Le but ? « Il fallait,se souvient Marc Augier, dégager le sens de l’amour que je dois porter à telle ou telle conception de vie, déterminer le lieu où se situent les véritables richesses. »

Le titre du premier chapitre est, en soi, un manifeste : « Conseil aux campeurs pour la conquête du Graal. » Tout Saint-Loup est déjà là. En fondant en 1935, avec ses amis de la SFIO et du Syndicat national des instituteurs, les Auberges laïques de la Jeunesse, il avait en effet en tête bien autre chose que ce que nous appelons aujourd’hui « les loisirs » – terme dérisoire et même nauséabond, depuis qu’il a été pollué par Trigano.

Marc Augier s’en explique, en interpellant la bêtise bourgeoise : « Vous qui avez souri, souvent avec bienveillance, au spectacle de ces jeunes cohortes s’éloignant de la ville, sac au dos, solidement chaussées, sommairement vêtues et qui donnaient à partir de 1930 un visage absolument inédit aux routes françaises, pensiez-vous que ce spectacle était non pas le produit d’une fantaisie passagère, mais bel et bien un de ces faits en apparence tout à fait secondaires qui vont modifier toute une civilisation ? La chose est vraiment indiscutable. Ce départ spontané vers les grands espaces, plaines, mers, montagnes, ce recours au moyen de transport élémentaire comme la marche à pied, cet exode de la cité, c’est la grande réaction du XXe siècle contre les formes d’habitat et de vie perfectionnées devenues à la longue intolérables parce que privées de joies, d’émotions, de richesses naturelles. J’en puise la certitude en moi-même. À la veille de la guerre, dans les rues de New York ou de Paris, il m’arrivait soudain d’étouffer, d’avoir en l’espace d’une seconde la conscience aiguë de ma pauvreté sensorielle entre ces murs uniformément laids de la construction moderne, et particulièrement lorsqu’au volant de ma voiture j’étais prisonnier, immobilisé pendant de longues minutes, enserré par d’autres machines inhumaines qui distillaient dans l’air leurs poisons silencieux. Il m’arrivait de penser et de dire tout haut : « Il faut que ça change… cette vie ne peut pas durer » ».

Conquérir le Graal, donc. En partant à ski, sac au dos, pour mettre ses pas dans des traces millénaires. Car, rappelle Marc Augier, « au cours des migrations des peuples indo-européens vers les terres arctiques, le ski fut avant tout un instrument de voyage ». Et il ajoute : « En chaussant les skis de fond au nom d’un idéal nettement réactionnaire, j’ai cherché à laisser derrière moi, dans la neige, des traces nettes menant vers les hauts lieux où toute joie est solidement gagnée par ceux qui s’y aventurent ». En choisissant de monter, loin, vers le Nord, au temps béni du solstice d’hiver, Marc Augier fait un choix initiatique.

« L’homme retrouve à ces latitudes, à cette époque de l’année, des conditions de vie aussi voisines que possible des époques primitives. Comme nous sommes quelques-uns à savoir que l’homme occidental a tout perdu en se mettant de plus en plus à l’abri du combat élémentaire, seule garantie certaine pour la survivance de l’espèce, nous avons retiré une joie profonde de cette confrontation [...]. Les inspirés ont raison. La lumière vient du Nord… [...] Quand je me tourne vers le Nord, je sens, comme l’aiguille aimantée qui se fixe sur tel point et non tel autre point de l’espace, se rassembler les meilleures et les plus nobles forces qui sont en moi ».

Dans le grand Nord, Marc Augier rencontre des hommes qui n’ont pas encore été pollués par la civilisation des marchands, des banquiers et des professeurs de morale.

Les Lapons nomades baignent dans le chant du monde, vivent sans état d’âme un panthéisme tranquille, car ils sont : « en contact étroit avec tout un complexe de forces naturelles qui nous échappent complètement, soit que nos sens aient perdu leur acuité soit que notre esprit se soit engagé dans le domaine des valeurs fallacieuses. Toute la gamme des croyances lapones (nous disons aujourd’hui « superstitions » avec un orgueil que le spectacle de notre propre civilisation ne paraît pas justifier) révèle une richesse de sentiments, une sûreté dans le choix des valeurs du bien et du mal et, en définitive, une connaissance de Dieu et de l’homme qui me paraissent admirables. Ces valeurs religieuses sont infiniment plus vivantes et, partant, plus efficaces que les nôtres, parce qu’incluses dans la nature, tout à fait à portée des sens, s’exprimant au moyen d’un jeu de dangers, de châtiments et de récompenses fort précis, et riches de tout ce paganisme poétique et populaire auquel le christianisme n’a que trop faiblement emprunté, avant de se réfugier dans les pures abstractions de l’âme ».

Le Lapon manifeste une attitude respectueuse à l’égard des génies bienfaisants, les Uldra, qui vivent sous terre, et des génies malfaisants, les Stalo, qui vivent au fond des lacs. Il s’agit d’être en accord avec l’harmonie du monde :

« passant du monde invisible à l’univers matériel, le Lapon porte un respect et un amour tout particuliers aux bêtes. Il sait parfaitement qu’autrefois toutes les bêtes étaient douées de la parole et aussi les fleurs, les arbres de la taïga et les blocs erratiques… C’est pourquoi l’homme doit être bon pour les animaux, soigneux pour les arbres, respectueux des pierres sur lesquelles il pose le pied. »

C’est par les longues marches et les nuits sous la tente, le contact avec l’air, l’eau, la terre, le feu que Marc Augier a découvert cette grande santé qui a pour nom paganisme. On comprend quelle cohérence a marqué sa trajectoire, des Auberges de Jeunesse à l’armée européenne levée, au nom de Sparte, contre les apôtres du cosmopolitisme.

Après avoir traversé, en 1945,  le crépuscule des dieux. Marc Augier a choisi de vivre pour témoigner. Ainsi est né Saint-Loup, auteur prolifique, dont les livres ont joué, pour la génération à laquelle j’appartiens, un rôle décisif. Car en lisant Saint-Loup, bien des jeunes, dans les années 60, ont entendu un appel. Appel des cimes. Appel des sentiers sinuant au cœur des forêts. Appel des sources. Appel de ce Soleil Invaincu qui, malgré tous les inquisiteurs, a été, est et sera le signe de ralliement des garçons et des filles de notre peuple en lutte pour le seul droit qu’ils reconnaissent – celui du sol et du sang.

Cet enseignement, infiniment plus précieux, plus enrichissant, plus tonique que tous ceux dispensés dans les tristes et grises universités, Saint-Loup l’a placé au cœur de la plupart de ses livres. Mais avec une force toute particulière dans La Peau de l’Aurochs.

Ce livre est un roman initiatique, dans la grande tradition arthurienne : Saint-Loup est membre de ce compagnonnage qui, depuis des siècles, veille sur le Graal. Il conte l’histoire d’une communauté montagnarde, enracinée au pays d’Aoste, qui entre en résistance lorsque les prétoriens de César – un César dont les armées sont mécanisées – veulent lui imposer leur loi, la Loi unique dont rêvent tous les totalitarismes, de Moïse à George Bush. Les Valdotains, murés dans leur réduit montagnard, sont contraints, pour survivre, de retrouver les vieux principes élémentaires : se battre, se procurer de la nourriture, procréer. Face au froid, à la faim, à la nuit, à la solitude, réfugiés dans une grotte, protégés par le feu qu’il ne faut jamais laisser mourir, revenus à l’âge de pierre, ils retrouvent la grande santé : leur curé fait faire à sa religion le chemin inverse de celui qu’elle a effectué en deux millénaires et, revenant aux sources païennes, il redécouvre, du coup, les secrets de l’harmonie entre l’homme et la terre, entre le sang et le sol. En célébrant, sur un dolmen, le sacrifice rituel du bouquetin – animal sacré car sa chair a permis la survie de la communauté, il est symbole des forces de la terre maternelle et du ciel père, unis par et dans la montagne –, le curé retrouve spontanément les gestes et les mots qui calment le cœur des hommes, en paix avec eux-mêmes car unis au cosmos, intégrés – réintégrés – dans la grande roue de l’Éternel Retour.

De son côté, l’instituteur apprend aux enfants de nouvelles et drues générations qui ils sont, car la conscience de son identité est le plus précieux des biens : « Nos ancêtres les Salasses qui étaient de race celtique habitaient déjà les vallées du pays d’Aoste. » et le médecin retrouve la vertu des simples, les vieux secrets des femmes sages, des sourcières : la tisane des violettes contre les refroidissements, la graisse de marmotte fondue contre la pneumonie, la graisse de vipère pour faciliter la délivrance des femmes… Quant au paysan, il va s’agenouiller chaque soir sur ses terres ensemencées, aux approches du solstice d’hiver, et prie pour le retour de la la lumière.

Ainsi, fidèle à ses racines, la communauté montagnarde survit dans un isolement total, pendant plusieurs générations, en ne comptant que sur ses propres forces – et sur l’aide des anciens dieux. Jusqu’au jour où, César vaincu, la société marchande impose partout son « nouvel ordre mondial ». Et détruit, au nom de la morale et des Droits de l’homme, l’identité, maintenue jusqu’alors à grands périls, du Pays d’Aoste. Seul, un groupe de montagnards, fidèle à sa terre, choisit de gagner les hautes altitudes, pour retrouver le droit de vivre debout, dans un dépouillement spartiate, loin d’une « civilisation » frelatée qui pourrit tout ce qu’elle touche car y règne la loi du fric.

Avec La Peau de l’Aurochs, qui annonce son cycle romanesque des patries charnelles, Saint-Loup a fait œuvre de grand inspiré. Aux garçons et filles qui, fascinés par l’appel du paganisme, s’interrogent sur le meilleur guide pour découvrir l’éternelle âme païenne, il faut remettre comme un viatique, ce testament spirituel.

Aujourd’hui, Saint-Loup est parti vers le soleil.

Au revoir camarade. Du paradis des guerriers, où tu festoies aux côtés des porteurs d’épée de nos combats millénaires, adresse-nous, de tes bras dressés vers l’astre de vie, un fraternel salut. Nous en avons besoin pour continuer encore un peu la route. Avant de te rejoindre. Quand les dieux voudront.

Pierre Vial

Source : Club Acacias.

dimanche, 19 décembre 2010

Les combats d'un Uhlan

Les combats d’un Uhlan

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com/

uhlan.jpgLongtemps avant la glaciation de la liberté de pensée, les polémistes brillaient dans les journaux ou publiaient des pamphlets. Dorénavant, du fait de l’étroite surveillance des écrits dissidents et de la stérilisation marchande de la presse, les plumes les plus percutantes s’activent sur la Toile. C’est justement grâce à Internet que j’ai découvert André Waroch et ses articles explosifs. Je me félicite, aujourd’hui, que certains d’entre-eux constituent Les Larmes d’Europe.

Je m’attends que les articles d’André Waroch, Uhlan d’Europe Maxima, susciteront l’irritation, l’agacement, voire le mécontentement de ceux qui n’apprécient pas ses avis tranchés. Oui, Waroch ose – et sait – déplaire ! Je suis bien placé pour le savoir puisque je reçois régulièrement quelques courriels désobligeants volontiers dédaignés.

Les positions défendues par André Waroch sont loin d’être les miennes. Dès nos premiers échanges via Internet, je lui fis part de mes réticences, de mes divergences même, avec certaines de ses analyses. Pourquoi alors ai-je quand même accepté de le mettre en ligne (et de le préfacer) ? Tout simplement parce que je suis un homme libre, adversaire de tout dogmatisme et que je conçois, en outre, Europe Maxima comme un espace de confrontations intellectuelles, fussent-elles vives et polémiques. Il n’est pas anodin qu’on y lise en exergue sur la page d’accueil la belle citation de Dominique de Roux : Europe Maxima est le site où l’« on pourra s’exprimer avec la clarté de n’importe quelle pensée et de toute, à droite, à gauche, ailleurs, où l’on posera plus de questions qu’on n’en résoudra ». On a compris que j’exècre le conformisme ambiant, l’idéologie actuelle des « moutons de Panurge », le politiquement correct. Je partage souvent les dégoûts d’André Waroch envers notre hideuse société contemporaine.

Les Larmes d’Europe s’apparente donc à une Sturmgewehr indispensable aux combats métapolitiques. En dix articles, André Waroch esquisse sa vision du monde qu’il affine, rectifie et corrige par rapport à son premier ouvrage, France Terminus, un véritable abécédaire de la décadence (1). Il soutient que l’idéologie multiculturaliste marchande met désormais en péril l’homme européen. Conscient du risque d’extinction, Waroch s’y oppose de toutes ses forces à l’échéance et en appelle en un sursaut salvateur, d’où sa fougue et sa vindicte qu’il porte aux idoles médiatiques dominantes. En véritable tireur d’élite, il les vise et les abat d’un coup sûr. Au moment de l’affaire de mœurs de Frédéric Mitterrand, collatérale à l’affaire Polanski, Waroch se range immédiatement du côté des petites gens scandalisées par les multiples passe-droits que s’octroie une oligarchie vorace et sans foi. Il attaque aussi avec vigueur toute la clique de saltimbanques, d’acteurs de films abjects et de brailleurs de sons insanes qui encouragent les immigrés clandestins délinquants – les fameux « sans-papiers » – sans aller jusqu’à les héberger dans leurs cossus lofts du XVIe arrondissement, de Montmartre et du Lubéron ! Issu du peuple de France et vivant au quotidien les affres de la « cohabitation » multi-ethnique en banlieue francilienne, Waroch est bien plus habilité à traiter du terrible problème de l’immigration que tel ou tel footeux milliardaire ou chanteuse sans talent.

Outre le Neveu, André Waroch « flingue » magnifiquement Caroline Fourest qui, de Charlie Hebdo au Monde (soit d’une décadence l’autre !), symbolise à merveille l’idéal républicain hexagonal et les contradictions schizophréniques béantes de notre temps. Individualiste radicale et éclairée, Fourest promeut l’abolition de toutes les différences, de toutes les frontières, de tous les genres, bref, de toutes les spécificités essentielles qui donnent au monde sa complexité. Cette zélatrice de la théocratie totalitaire des droits de l’homme mérite pleinement d’être considérée comme la quintessence du « Quart-Monde de la pensée ».

Ces quelques convergences établies (il y en a d’autres !), je puis maintenant exposer mes différends avec notre chevau-léger. Je trouve par exemple que sa perception de l’islam est incomplète et maladroite. Un certain anti-islamisme en vigueur dans les milieux « identitaires » témoigne un aveuglement certain et d’une défaillance évidente de stratégie. Il est bien de contester les Quick hallal. Mais il aurait été plus judicieux de condamner l’existence même des fast foods en France et en Europe. On ne peut, à mon humble avis, refuser le tchador, le voile musulman ou la burqa quand on porte soi-même l’uniforme occidental qu’est le jean’s… Comme d’autres, plus ou moins inspirés, Waroch voit l’islam comme un vaste bloc, ignorant ou sous-estimant l’importance des tribus, des peuples, des États et des contentieux qu’ils engendrent. Les mahométans se réfèrent certes à l’Oumma comme les chrétiens se référaient jadis à la Chrétienté médiévale. On sait ce qu’est devenu l’œcumène euro-chrétien. Un même sort attend probablement l’Islam. André Waroch confond enfin islam et immigration. Or j’estime que le danger majeur pour le devenir des Européens reste le fait migratoire, l’islamisation indéniable du continent n’étant que l’effet immédiat de la « colonisation de l’Europe » contre quoi il faut se battre non pas en reprenant les thématiques de la Modernité laïque et décatie, mais en mettant en valeur nos principes d’enracinement, d’autochtonie et d’identité.

Les relations entre l’Europe et la Russie constituent un autre point d’achoppement. André Waroch est un russophile affirmé et voit, comme naguère Jean Cau dans son Discours de la décadence (2), dans la patrie de Poutine l’ultime recours des peuples autochtones d’Europe. Or il déclare aussi que la Russie et le monde orthodoxe forment une autre civilisation européenne, une civilisation jumelle mais distincte. Là encore, je reste dubitatif sur l’unité civilisationnelle de l’Orthodoxie. Moscou peut jouer de son nombre, mais il doit prendre en compte la susceptibilité des autres patriarcats dont ceux de Constantinople, d’Athènes, de Pec, de Bucarest ou, non reconnu, de Kiev. Par ailleurs, je persiste dans mon scepticisme au sujet d’une Russie, hypothétique sauveuse de l’Europe en déclin. Quand on consulte les essais de Jean-Robert Raviot (3), on constate que le Kremlin pourrait, un jour ou l’autre, se rallier à l’hyper-classe mondialiste. Qu’André Waroch se méfie des enthousiasmes à la fois géopolitistes et impolitiques !

Contre l’idéologie républicaine hexagonale, faut-il néanmoins revenir à une identité néo-gauloise ou celtique comme le souhaite Waroch le bien nommé ? Quand on retrace la généalogie de l’idée gauloise, on remarque qu’elle apparaît à la fin du XVIIIe siècle chez des nobles qui s’estimaient héritiers des conquérants francs sur les descendants des Gaulois. Si, malgré une très forte influence de l’Antiquité gréco-romaine, la Révolution ne s’inspire guère des Gaulois, ceux-ci retrouvent un regain d’intérêt sous le Second Empire d’un Napoléon III fasciné par Vercingétorix et le site possible d’Alésia, avant que la IIIe République en fasse quasiment ses maîtres tutélaires. Il s’agissait pour les républicains d’alors de se démarquer autant de Rome, matrice de la catholicité, que des Francs perçus comme trop germaniques : seuls les Gaulois montraient une compatibilité avec la laïcité, l’anticléricalisme et la « Revanche ». Certes, dans ces charmants lieux de convivialité, de « vivre-ensemble » et de fraternité que sont les « zones de non-droit », une population soi-disant « stigmatisée » et « victime du racisme institutionnel profond » n’hésite pas à qualifier les derniers Français de souche européenne de « Gaulois », de « Céfrans » ou  de « Fromage blanc »… Plutôt que de revenir à d’anciennes racines, il serait plus approprié de diffuser et de répandre une origine européenne commune, notre origine boréenne.

Rédigé au moment de la guerre de décembre 2008 – janvier 2009 entre le Hamas et Israël dans la Bande de Gaza, « Israël et la prophétie de Theodor Herzl » concerne l’interminable conflit israëlo-arabe. André Waroch n’a jamais caché son souhait d’une entente, voire d’une alliance, entre les « nationalistes » français et/ou européens et les sionistes (ou la communauté juive). Je crains qu’il fasse là fausse route. Je ne me définis pas comme nationaliste : le nationalisme procède de la Modernité et ne répond pas aux défis de notre époque fluide et mouvante. Waroch en est lui-même conscient puisqu’il observe le délitement irrémédiable de l’État-nation. Ensuite, on ne peut pas assimiler le sionisme au judaïsme et l’hostilité à Israël à de l’antisémitisme. Des juifs traditionalistes (Neturei Karta ou les Satmar) (4) dénient toute légitimité à l’État hébreux. A contrario, les sionistes les plus fanatiques se recrutent chez les fondamentalistes puritains étatsuniens qui n’en conservent pas moins une forte judéophobie. J’ai l’intime conviction qu’il existe – ou existera à terme – un accord tacite entre certaines franges de l’islam sunnite radical et Israël, car ils partagent la même haine de la civilisation européenne. Sur cette base négative minimale, Tel-Aviv entérinerait sa domination sur la Palestine et l’islam aurait le droit de conquérir notre Vieux Monde. Cela expliquerait pourquoi des groupes ultra-sionistes et les ligues de petite vertu n’ont jamais cessé de condamner tous les mouvements de résistance française et européenne, du raid sanglant au colloque du G.R.E.C.E. de décembre 1979 à l’attaque de la réunion – hommage à Saint-Loup en 1991 en passant par les condamnations judiciaires d’hommes politiques et historiens réfractaires au Diktat ambiant. En outre, comment peut-on être sioniste sur les rives du Jourdain et hostile au moindre patriotisme sur les berges de la Seine, du Tibre, de la Tamise ou de la Moskova ? C’est la raison pour laquelle le mot d’ordre « ni kippa, ni keffieh » reste d’actualité. Comme pour l’Europe, l’avenir du Proche-Orient ne passe ni par une fragmentation d’États minables, ni par le paradigme stato-national épuisé ou la solution fantaisiste d’une entité binationale. Seul, à mes yeux, un grand-espace régional s’étendant du Sinaï au sandjak perdu d’Alexandrette (Iskendenrun en turc) englobant le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Palestine et Israël, résoudrait ce lancinant problème. On remarquera que cette vision s’inscrit dans la quête d’une troisième voie salutaire.

Or, dans son avant-propos, André Waroch se réclame du souverainisme européen. Ce serait une belle troisième voie au-delà d’une Europe des nations incapables de s’entendre sur l’essentiel, et de l’Europe de Bruxelles qui se singularise par une absence abyssale de volonté politique et une profusion de visages (présidences tournante semestrielle, du Conseil européen, de la Commission, de l’Euro-Groupe…) témoignant de leur impuissance congénitale. Il espère exposer ses idées sur ce point précis dans un prochain ouvrage et paraît pour l’instant en pleine recherche. Je puis lui annoncer dès à présent qu’il existe déjà une idée qui rejaillira tôt ou tard sous la pression d’événements terrifiants : c’est la notion traditionnelle, anti-moderne et post-moderne d’Empire ! Allez, Cher André Waroch, encore des efforts pour devenir un héraut gibelin, un Français d’Europe et un Gaulois d’Empire ! N’oubliez pas que « la vraie source des larmes n’est pas la tristesse, mais la grandeur (5) ». Il importera après, une fois ses larmes séchées, que l’Europe – notre Europe des peuples autochtones – s’arme.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : André Waroch, France Terminus, 2008, 64 p., format Word. Ouvrage seulement consultable sur demande gratuite à Europe Maxima.

2 : Jean Cau, Discours de la décadence, Copernic, 1978.

3 : Jean-Robert Raviot, Qui dirige la Russie ?, Lignes-de-Repères, 2007, et Démocratie à la russe. Pouvoir et contre-pouvoir en Russie, Ellipses, 2008.

4 : Issus d’une scission en 1938, les Neturei Karta sont des juifs ultra-orthodoxes qui entendent respecter scrupuleusement la halakha (loi religieuse orthodoxe juive). Estimant que seul le Messie a le droit de restaurer Israël, ils pratiquent un antisionisme militant souvent plus radical que celui des Satmar. Partageant le même antisionisme, les Satmar sont des juifs hassidiques issus de la Transylvanie au début du XXe siècle. Ils n’hésitent toutefois pas à vivre en Israël sans servir dans Tshahal, reconnaître le système judiciaire, payer des impôts ou accepter les aides sociales.

5 : Pierre Gripari, Reflets et réflexes, L’Âge d’Homme, 1983, p. 29.

André Waroch, Les Larmes d’Europe, Le Polémarque Éditions, 2010, préface de Georges Feltin-Tracol, 118 p., 12 € (frais de port de 4 €).

À commander par la Poste aux Éditions Le Polémarque, 29, rue des Jardiniers, 54 000 Nancy, France, accompagné d’un chèque bancaire à l’ordre de « Laurent Schang – Le Polémarque Éditions » ou par courriel à <lepolemarque@gmail.com>.


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mercredi, 15 décembre 2010

Antonin Artaud: Sul suicidio e altre prose

Antonin Artaud: SUL SUICIDIO E ALTRE PROSE

di Andrea Ponso

Ex: http://www.camarillaonline.com/

artaud.jpgIl “blocco Artaud” ci permette di entrare nel vivo di una crisi, una crisi di pensiero e di rappresentazione, con un movimento che non può non chiamare in causa il rapporto con il mondo e con il reale, la lucidità e le mille trappole del letterario: tutto il suo lavoro è un vero e proprio corpo a corpo con il sistema delle conoscenze occidentali e non solo, con la religione (certo Artaud non era un ateo: un ateo non lotta così a lungo con Dio) e con le varie suddivisioni dei saperi. Partendo dalla tematica principale attorno alla quale si raccolgono questi scritti (frecciabr.gif Sul suicidio e altre prose, Via del vento, 4 euro) cercheremo di dimostrare, entrando nel vivo di questi brevi ma veramente preziosissimi testi, le frizioni che la macchina da pensiero produce a contatto con la mobilità e il corpo del nostro autore.

La morte è vista da Artaud come un eterno presente:

"… il sentimento dell’uniformità di ogni cosa. Un assoluto magnifico. Avevo senza dubbio appreso ad avvicinarmi alla morte..."
In realtà, la morte è quindi in sé l’abolizione della differenza, dello smembramento (ricordiamo l’invenzione artaudiana del corpo senza organi) ma, tramite il suicidio, non si può raggiungere che attraverso un atto di smembramento, di distacco, di rottura di una uniformità, che ci rende prigionieri ancora una volta del pensiero che lo ha pensato, dividendo e preparando, tra l’altro, l’infiltrazione del divino e di ogni trascendenza che, insinuandosi, crea continuamente il due, la divisione, il “non”, rubandoci il dolore-essere in cambio di una rappresentazione, espropriandoci, eternizzandoci:
"il suicidio non è che la conquista favolosa e lontana degli uomini che pensano bene."
Non una preclusione morale quindi, bensì una impossibilità: il non poter risolvere l’organicità e la differenza con una ulteriore divisione-differenza; non ci sono vie di fuga per il rigore di Artaud e per un pensiero che pensa l’unità di un corpo senza organi da una prospettiva (ma anche qui, di nuovo, ogni prospettiva è una parzialità) che esclude risolutamente ogni metafisica.
In realtà, è da sempre troppo tardi:
"non sento l’appetito della morte, sento l’appetito del non essere, di non essere mai caduto in questo trastullo d’imbecillità, di abdicazioni, di rinunce e di ottusi incontri che rappresenta l’io di Antonin Artaud"
; nonostante ciò, Artaud si rende conto che in questa insofferenza si nasconde la tentazione della trascendenza: 9788887741162g.jpgè in fondo la stessa visione di certo cristianesimo (e non solo) che svaluta la terra e propone prospettive salvifiche future (è lo stesso meccanismo che nella testualità promette un senso a venire e nello stesso momento instaura e salva una oscurità strategica?).
Allora Artaud tronca ogni possibile via di fuga e nello stesso tempo accetta i mille rivoli che smembrano ogni uomo, poiché neanche il corpo senza organi deve essere visto in prospettiva, ma anche (rompendo l’ordine della logica, come succede sempre nei punti di maggiore tensione della scrittura artaudiana) non può che essere visto così: è un In – stante per chi sceglie di rimanere nel cortocircuito, nel punto in cui ogni rappresentazione persiste e non smette di crollare:
"questo io virtuale, impossibile, che si trova tuttavia nella realtà."
Tutta la speculazione di questo autore, il suo continuo cortocircuitare nel pensiero che lo pensa, non è altro che una lotta sul posto, contro il "pensare ciò che mi vogliono far pensare" (del resto, lo ricorda lui stesso nel suo Van Gogh "mi si è suicidato"), infatti ci si sente
"fin nelle ramificazioni più impensabili (…) irriducibilmente determinati ( … ) e il fatto che mi ucciderò è probabilmente inscritto in un ramo qualsiasi del mio albero genealogico"
(viene in mente il lavoro di liberazione dalle ‘parti’ e dal ‘modo’ del teatro di Bene).
Artaud arriva quindi alla perentorietà di questa bruciante affermazione:
"Dio mi ha collocato nella disperazione come in una costellazione di vicoli ciechi il cui irradiamento approda a me stesso. Non posso ne morire, ne vivere, ne desiderare di morire o vivere. E tutti gli uomini sono come me."
C’è una ricerca di chiarezza in questa scrittura, davvero sconvolgente (soprattutto se pensiamo alla vita dell’uomo Artaud, ai suoi dolori, all’elettrochoc e ai vari internamenti psichiatrici) - una chiarezza che, per illuminarsi non accetta la logica e il pensiero sul mondo in vigore ma che non li accantona sbrigativamente ma li vive dal di dentro, li porta come abiti che continuamente si è costretti a togliere e a rimettere: per arrivare alla chiarezza, Artaud non vuole semplificare, bensì adattare il suo sguardo e il suo corpo alla complessità della materia e all’ordine non rappresentativo del mondo poiché
"la vita non mi appare che come un consenso all’apparente leggibilità delle cose e alla loro relazione nello spirito"
e ancora,
"la nostra attitudine all’assurdo e alla morte è quella della migliore ricettività"
, sgombrando da subito il campo da atteggiamenti di passività o maledettismo, e spostando lo sguardo verso l’attenzione e la lucidità, verso un mondo in movimento, privo d’ombra e di rifugi (soprattutto rifugi letterari, artistici: ad Artaud non basta più essere un artista, poiché l’artista è diventato un uomo della consolazione o della rassegnazione infinita; poiché l’artista è anch’esso determinato e inserito nella casella che la divisione aristotelica dei saperi ancora gli impone ).
Insomma, si tratta di scegliere la lucidità, il proprio dolore, la propria pulizia anche (e si badi bene: tutto ciò non presuppone l’accantonamento di quel "trastullo d’imbecillità, di abdicazioni (…) che rappresenta l’io di Antonin Artaud" e, aggiungiamo noi, di tutta l’armatura del nostro occidente …) oppure di rimanere passivi all’esproprio del nostro essere ( del nostro dolore senza motivo) in cambio di una rappresentazione che non è il mondo e che si frappone tra noi e il nostro oggetto.
E a questo proposito, fatte naturalmente le dovute proporzioni, verrebbe forse da pensare agli immensi depositi di larve umane del film Matrix, derubate e risucchiate della propria energia, della propria vita vera (ha senso usare questo aggettivo?), sezionate e aperte da fori, in cambio di una vita che è rappresentazione e spettacolo. E tuttavia questa sorte, che tocca ai poveri umani del film, ricade anche, aldilà della finzione, su ogni singolo spettatore, sommerso da un numero imprecisato di effetti speciali: insomma, sono gli stessi cattivi di Matrix a creare il film, Matrix è il programma e il film stesso.
Il lavoro di Artaud ingloba le dicotomie e le aporie del pensiero senza parificarle, non procede per disgiunzioni ed esclusioni, non sostituisce alla prepotenza della materia un sistema simbolico convenzionale : in questo suo vagabondaggio eversivo, non poteva non approdare ai bordi, alle valvole di sicurezza che il sistema stesso ha ideato, quindi alla medicina e in particolare alla psichiatria – anche qui Artaud soccombe e vince:
"Ecco psichiatri (…) radunatevi attorno a questo corpo (…) è intossicato, vi dico, e si attiene alle vostre inversioni di barriere, ai vostri vuoti fantasmi (…) tu hai vinto, psichiatria, hai vinto ed egli ti oltrepassa"
ed è proprio quel “ed” che mette in crisi il tutto
Sotto l’insopprimibile ombra del dover essere, dietro alla parte determinata, dietro ai modi che ci perseguitano e ci salvano
"in fondo dunque a questo verbalismo tossico, c’è lo spasmo fluttuante di un corpo libero e che riguadagna le sue origini, la muraglia di morte essendo chiara, essendo capovolta e rasente il terreno. Poiché è qui che la morte procede, attraverso il filo di un’angoscia che il corpo non può finire di attraversare."

dimanche, 12 décembre 2010

Le Bulletin célinien n°325

Le Bulletin célinien n°325

 
Décembre 2010
 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°325 de décembre 2010.
 
Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Lucien Descaves au « Club du Faubourg »
- Claude Duneton : Céline et la « tourbe » du langage populaire
- V. M. : Une adaptation théâtrale exemplaire
- Benoît Le Roux : Anouilh et Céline
- Laurence Viala : Illustrer le texte célinien (1)
- Ramon Fernandez : « L’Église » (1933)
- Les souvenirs de Maurice Gabolde
- Willy de Spens : Un après-midi chez L.-F. Céline

Un numéro de 24 pages, 6 € frais de port inclus à :
Le Bulletin célinien
Bureau de poste 22
B. P. 70
B 1000 Bruxelles
 
Bloc-Notes:
 
À propos du « refus de parvenir », expression (rendue célèbre par Albert Thierry et les syndicalistes révolutionnaires) traduisant une volonté d’être fidèle à ses origines populaires, Paul Yonnet trace un parallèle avec la figure de Céline : « ...C’est une exigence du même ordre qui traverse Voyage au bout de la nuit, mais aussi l’œuvre entière de Céline, jusque dans les images qu’il nous donne de lui, durant les dix dernières années de sa vie, asilaires (1)». Et de renvoyer aux pages que le psychiatre Yves Buin consacre à ce thème : « Sa déshérence, Céline tient à la montrer. Plus qu’au clochard exhibé, au hâbleur volontaire du déclin, c’est à l’asilaire que Céline fait penser si l’on s’en réfère aux photographies de l’ère Meudon se déroulant tel un film. Un asilaire ? C’est-à-dire un de ses falots personnages d’hospice, de foyer social hors le monde, et plus encore des grandes concentrations carcérales où, au milieu des déments et des agités que l’on enferme, subsistent des êtres atones, ravinés, habitacles d’une vie éteinte, des êtres lassés, revenus de tout et de nulle part, que rien ne dérange plus et qui ne dérangent plus personne. (…) Il est de l’humanité invisible. Le Céline des trois ou quatre dernières années est de cette confrérie d’abandonnés. Probablement n’y siège-t-il pas en permanence. Aux parutions de ses livres, et entre elles, il doit concéder à la représentation mais avec les habits de scène qu’il s’est choisis pour le dernier acte et, l’asilaire, en lui, affleure (2). » En d’autres termes, Céline donnerait à voir, de manière spectaculaire, qu’il n’est pas parvenu, qu’il a refusé de parvenir, qu’il a tout fait pour qu’il en soit ainsi.
 
Cette vision du Céline de la fin contraste avec celle d’un autre biographe, Philippe Alméras, qui voit en l’ermite de Meudon un épigone de Chodruc-Duclos : « Sous la Restauration, Chodruc-Duclos, l’“homme à la longue barbe”, exhibait chaque jour au Palais-Royal sa misère et sa saleté pour exposer l’ingratitude des Bourbons. Céline, aidé par l’incurie des artistes, et grâce à Match ou à L’Express, confronte route des Gardes ses contemporains d’une façon pas tellement différente (3). »
 
Et si au lieu de voir l’intention de témoigner de ceci ou de cela, il ne fallait pas tout uniment constater chez lui une totale indifférence à son aspect vestimentaire ? Sauf durant une brève période – des années vingt au début des années trente –, Céline ne s’est jamais préoccupé de sa mise. Certains le lui reprochaient d’ailleurs (4). Exilé au Danemark, il s’en est encore moins soucié et cette attitude, qui n’était nullement une pose, n’a fait que s’accentuer durant les dix dernières années de sa vie. Cela en fit un personnage aussi pittoresque que Paul Léautaud avec, comme autres points communs, un attachement profond pour les animaux allant de pair avec une misanthropie foncière (5). Et surtout une volonté farouche de demeurer libre.

Marc LAUDELOUT

1. Paul Yonnet, « La sortie de la révolution » in Le Débat, n° 160, mai-août 2010, pp. [37]-46. Rappelons que Paul Yonnet est l’auteur du Testament de Céline (Bernard de Fallois, 2009).
2. Yves Buin, Céline, Gallimard, coll. « Folio biographies », 2009, pp. 436-437.
3. Philippe Alméras, « Céline vu de gauche, vu de droite » in Nouvelle École (« Les écrivains »), n° 46, automne 1990, pp. 40-48.
4. « On me fait volontiers grief de bouder les assemblées… (…) On m’y trouve mal habillé… N’est-ce pas, Monsieur Ménard ? » (Lettre à Jean Lestandi, 10 septembre 1942. Reprise dans Cahiers Céline 7, 2003 [rééd.], p. 171.)
5. Sur ce parallèle, voir Pierre Lalanne : « Louis-Ferdinand Céline et Paul Léautaud » sur le blog L’ombre de Louis-Ferdinand Céline à la date du 15 février 2010. À Jacques Chancel, en juillet 1957, il confie : « Je ne suis qu’un bouffon. Paul Léautaud est mort. Il fallait un pauvre qui pue. Me voilà. ». Repris dans Cahiers Céline, 2 (« Céline et l’actualité littéraire, 1957-1961 »), 1993 (rééd.), pp. [95]-99.

 

mardi, 23 novembre 2010

A propos du "Petit traité des vertus réactionnaires" d'Olivier Bardolle

A propos du « Petit traité des vertus réactionnaires » d'Olivier Bardolle

par Christopher Gérard

Ex: http://www.polemia.com/ 

 

« Je n’appartiens pas à un monde qui disparaît. Je prolonge et je transmets une vérité qui ne meurt pas. » Nicolás Gómez Dávila

Gainsborough_The_Blue_Boy-wr400.jpg« Apologie du courage, sens de l’honneur, individualisme aristocratique, ampleur de vue, goût du risque, perception du tragique, conscience de sa responsabilité, affirmation de soi, sens de l’Histoire », telles sont ces vertus que, depuis la fin des Grandes Conflagrations et l’entrée en dormition de notre continent, un surmoi progressiste a diabolisées à l’extrême pour mieux castrer intellectuellement et spirituellement les fils d’Europe.

Disciple du regretté Philippe Muray, ce contempteur de l’homo festivus dont les charges contre l’imposture aux mille faces nous font tant défaut aujourd’hui, Olivier Bardolle incarne un singulier paradoxe, puisque ce publicitaire passé par les milieux du cinéma américain se révèle lecteur attentif de Céline et de Cioran, de Baudelaire et de Nietzsche ! Un martien dans le monde aseptisé du divertissement de masse, doublé d’un hoplite qui, manifestement, en a soupé de progresser masqué. Un combattant qui jette le gant avec panache … non sans avoir pris la sage précaution de fonder sa maison d’édition (*) !

Son essai ? Une courageuse démolition de notre modernité finissante ; une exhortation passionnée au sursaut individuel et collectif, nourrie de références historiques et littéraires, que les puristes jugeront parfois journalistiques (quelques approximations, quelques affirmations contestables en effet), mais à l’allégresse communicative.

L’essentiel : Bardolle sonne le tocsin sans poser au scrogneugneu ranci (la droite des boites de nuit), mais en héritier effaré par notre déclin, en amoureux déçu d’une civilisation en pleine liquéfaction. Ne pousse-t-il pas la provocation jusqu’à se réclamer, au début comme à la fin de son pamphlet, du héros de Gran Torino, ce film de et avec Clint Eastwood, belle défense et illustration de l’homme de droite ?

Le mot est lâché. Droite (passéisme, réaction,…). Depuis plus d’un demi-siècle, il suffit à ostraciser sans appel, à précipiter le démon dans la géhenne, à le condamner au Non-Etre (qui « n’est pas », pour citer le confrère Parménide) et ce au nom de la doxa bohémienne-bourgeoise, mixte de conformisme et de délire sécuritaire, de « désir du pénal » (Muray) et de puritanisme mesquin. Ce sera d’ailleurs l’une de mes critiques : trop indulgent à l’égard des Etats-Unis, Bardolle ne voit pas assez à quel point l’infection qui nous ronge prend sa source dans l’idéologie biblique telle que mise en pratique par les rescapés du Mayflower. S’il avait, par exemple, lu L’Interrogatoire de Vladimir Volkoff, magistrale description de la perversion yankee, sa démonstration aurait gagné en profondeur. Mais ne lui cherchons pas de poux dans la tête, à notre héraut d’un conservatisme sans illusions ni complexe ; suivons-le plutôt dans son salubre jeu de massacre.

Qu’est-ce qu’être conservateur aujourd’hui (réactionnaire, antimoderne, etc.), sinon refuser de toute son âme ce bestial enthousiasme qui saisit les croisés du Bien (éventuellement en version techno-festive : Fesse-Bouc, Haïpode et autres vecteurs d’aliénation), tout entiers à leur volonté impie de changer et/ou de sauver le monde ? Conscient de la fragilité d’équilibres payés au prix de la sueur et du sang, le conservateur entend préserver l’héritage pour le transmettre sans fanfare ni imprécations. Comme disait Burke, to conserve in order to preserve (**). Posture éminemment tragique, dénuée d’illusions sur un homo sapiens vu pour ce qu’il est : un prédateur – homo homini lupus – dont les instincts doivent être bridés, notamment par un sévère dressage. Sagesse de la réaction, fondée sur l’expérience, et donc sur la mémoire, car le conservateur est « un lyrique doublé d’un mémorialiste impénitent », empli d’une saine méfiance pour l’avenir (surtout quand il est présenté comme radieux) aux antipodes de l’utopiste qui, dans son refus du réel, en vient à haïr l’homme de chair et de sang qui ose résister à la mise au pas. Nostalgique du monde d’avant une déchéance d’ampleur quasi cosmique (l’Age d’or, la Chute, 1789, 1968, …), le conservateur porte son regard en amont avec le sentiment diffus d’être né trop tard dans un siècle de limaces. Idéaliste certes, moins dangereux toutefois que l’illuminé progressiste, friand de chasses aux sorcières. Désespéré par refus des chaleureuses impostures, sceptique, et tenant d’un temps alluvial, - qui n’est jamais celui de la table rase. Tel est le conservateur (« un mot qui commence mal », disait Thierry Maulnier).

Bardolle décrit bien cet état d’esprit sans craindre de pousser le bouchon assez loin, ce qui le rend d’autant plus sympathique. Ainsi, quand il écrit, impavide : « le risque réactionnaire – le fascisme à l’ancienne – n’existe plus. La société occidentale, furieusement matérialiste, n’en a plus la capacité spirituelle, elle n’en a pas non plus les nerfs ni le courage. » Décidément, le « mental de planqué » de notre société l’écœure au point de lui faire proférer des horreurs, voire de citer avec jubilation Georges Steiner qui, dans Libération, s’exclame : « je préfère un SS cultivé à un beach boy ».

Ce grand désenchanté - Bardolle, pas Steiner – saisit bien à quel point notre modernité est allergique à l’autorité, par haine du père (figure évacuée de notre univers) et par désir infantile d’une liberté sans bornes (« jouir sans entraves », le pire des esclavages !). Aversion pour toute hiérarchie, c’est-à-dire pour tout principe, toute sacralité (archè et hiéros en grec), analysée en son temps par un auteur que Bardolle ne cite pas, René Guénon, dans La Crise du monde moderne, lumineuse description de la soumission moderne du supérieur à l’inférieur. Le corollaire en est le refus de l’effort, qui mène au gâtisme précoce, celui du grand jardin d’enfants qu’est devenu notre monde : « L’individu contemporain ne veut plus apprendre, ne veut plus souffrir, ne veut plus subir ». Autre conséquence de cette paresse fondamentale, la hantise du risque, de la responsabilité… et de la mort qui tout emporte. Tel est sans doute le clivage essentiel : le progressiste, sinistre amateur de pyramides et de triangles, est affolé par l’idée même de la mort, qui pour le réactionnaire est une compagne de chaque instant, une inspiratrice.

Nostalgie de la verticalité, dégoût pour le catéchisme rose bonbon, regard critique posé sur le mythe foncièrement progressiste – donc utopique - de la croissance indéfinie dans un monde fini, attachement viscéral pour ce qui perdure (pérenne est un mot de droite, éphémère évoque la gauche ; durable relevant lui de l’escroquerie pure), Bardolle passe en revue les grands thèmes de la vision du monde conservatrice. Ses propos sur l’Islam divergent, Dieux merci, de la mélasse que nous servent les notaires de la parole : « Jusqu’où iront la mauvaise conscience et la veulerie de l’homme blanc repentant à l’égard d’un Islam conquérant ? ». Sur ce sujet, Bardolle se prétend optimiste, sans doute parce que, en raison des dogmes républicains, il a tendance à minimiser le caractère ethnique de la fracture. Toutefois, il n’hésite pas à rompre quelques lances bienvenues contre le mythe du métissage rédempteur – dogme absolu de notre modernité festive – comme sur le pullulement anarchique de l’espèce.

Avec un réjouissant bon sens, vertu réactionnaire par essence, Bardolle propose quelques « conseils de survie » à l’hypermodernité : le odi profanum vulgus et arceo (« je déteste la foule infâme et m’en écarte ») du confrère Horace, « laisser les autres à leur propre enfer et tenir le vôtre à distance », vivre en hoplite et, last but not least, rayer le mot bonheur de son vocabulaire au profit d’un pessimisme ironique (que les bonnes âmes, tant pis pour elles, prendront pour du cynisme).

Son essai se termine par un appel à retrouver la virtus des Stoïciens, manifestement préférée au masochisme galiléen, une excellence tempérée par la bonté, vertu conservatrice soulignée naguère par un auteur que Bardolle semble ignorer, le colombien Nicolas Gomez Davila : « Traiter l’inférieur avec respect et tendresse est le syndrome classique de la psychose réactionnaire ».

Christopher Gérard
12/11/2010
http://archaion.hautetfort.com/

  • (*) Ollivier Bardolle, Petit traité des vertus réactionnaires, L’Editeur, sept. 2010, 216 pages. Préface (critique) d’Eric Naulleau, 12€
  • (**) M. Bardolle me permettra ce léger coup de patte : comment E. Burke, disparu en l’an de grâce 1797, pourrait-il avoir pris position sur Auschwitz ?

Voir aussi la critique de Didier Marc sur « Porte Louise », le dernier roman de Christopher Gérard;
et celle de GT sur le « Songe d’Empédocle » du même Christopher Gérard.

Salut à Bruno de Cessole, auteur d’un beau papier sur Bardolle dans Valeurs actuelles (23 septembre 2010).

Correspondance Polémia – 17/11/2010

dimanche, 21 novembre 2010

Dictionnaire des injures littéraires

 

Dictionnaire des injures littéraires
Marc Laudelout
Nul doute que Pierre Chalmin s’est diverti à composer cet épais dictionnaire. Ce travail de Romain suppose des heures de lecture ainsi qu’une vaste culture littéraire — qualité dont l’auteur n’est pas dépourvu. Pas moins que du sens de l’humour. Ainsi se définit-il lui-même « dramatique auteur français » (!) et imagine-t-il un « Merlin Charpie » (anagramme de son nom) le traitant plus bas que terre. Certes, ce genre de recueil a déjà été édité. Citons celui de Sylvie Yvert qui a rencontré un certain écho ¹ et, plus récemment, L’Art de l’insulte joliment illustré par Yann Legendre ². Balayant largement les époques et les cultures, cette anthologie propose un réjouissant panorama de l’injure littéraire. Dont Céline n’est évidemment pas absent, avec l’inévitable philippique à Jean-Paul Sartre. Il s’y trouve – excusez du peu – en compagnie de Rimbaud, Baudelaire, Scarron, Rabelais, Molière, Apollinaire, Genet, Artaud, Bloy, Shakespeare, Aristophane, pour ne citer que les plus grands.
Mais ces deux livres supportent difficilement la comparaison avec l’imposant volume proposé par Pierre Chalmin : 700 pages agrémentées d’un précieux « index des insulteurs ». Céline y est cité plus de quarante fois. Comme ses saillies sont bien connues des lecteurs du Bulletin, je signalerai plutôt les insultes qu’à son tour il dût encaisser : de Jean Renoir qui voit en lui un « Gaudissart de l’antisémitisme » à Elias Canetti qui le traite de « paranoïaque » en passant par un certain Ferron qui le considère « menteur, mythomane et peut-être fou », la récolte est belle. Encore que je ne voie pas bien en quoi le commentaire de Marcel Aymé (brocardant gentiment son antisémitisme) et celui de Jünger (constatant qu’il n’eut pas le même destin que Brasillach) soient vraiment injurieux. Mais sans doute faut-il tenir compte d’un imperceptible second degré...
Un des attraits du livre est de mettre en valeur des ouvrages contenant des pépites, comme le Journal de Paul Morand et celui de Matthieu Galey. Ou les critiques d’Angelo Rinaldi – celles de L’Express – étincelantes de fiel ³. Ainsi, à propos de Hervé Bazin : « Une si scrupuleuse absence d’art, qui équivaut à fournir le moteur sans le capot, sans la carrosserie, voire sans la voiture, méritait à la longue d’être relevée. » Ou à propos de Roger Peyrefitte : « Un grand méchant loup pour revue de L’Alcazar, l’œil concupiscent sous les coiffes de dentelles, et fouillant de sa patte sénile la culotte du Chaperon rouge. »
Comme tout dictionnaire, ce n’est évidemment pas un ouvrage qu’on lit d’une traite. On le butine plutôt, happant ici et là des bonheurs d’écriture. Je l’ai déjà indiqué, les pointes de Céline reprises dans cette anthologie sont archi connues, à l’exception de celle sur Malraux : « Il me semblait splendidement doué et puis il a manqué de pudeur, d’autocritique et de véritable expérience, il s’est pris au sérieux. À présent il est devenu tout à fait putain. Je ne crois plus qu’il en sortira rien. Des vagues bafouillages orientaux et prétentieux et gratuits. » Prescience de Céline ! Il écrit cela en 1934 dans une lettre privée. Ce qui ne l’empêchera pas de saluer dans Bagatelles le Malraux qu’il estimait : celui des Conquérants parus dix ans plus tôt.
Dans sa préface, Chalmin n’a pas tort de relever un certain dépérissement du genre : « On insulte aujourd’hui en se taisant, conspirant les silences : c’est un progrès qui confine à l’imitation des anémones. » Céline, lui, n’a jamais pu se taire. Inconscience mais aussi bravade sans lesquelles il ne serait pas ce génie de l’invective qui lui valut et lui vaut encore tant d’opprobres.

Marc LAUDELOUT

• Pierre Chalmin, Dictionnaire des injures littéraires, l’Éditeur, 2010, 734 pages (29 €)

1. Sylvie Yvert, Ceci n’est pas de la littérature… Les forcenés de la critique passent à l’acte, Éditions du Rocher, 2008, 222 pages.
2. Elsa Delachair, L’Art de l’insulte. Une anthologie littéraire, Éditions Inculte, 2010, 208 pages
3. Son dernier livre, Dans un état critique (Éd. La Découverte) rassemble 120 chroniques parues entre 1998 et 2003.

 

samedi, 20 novembre 2010

Les discours de Louis-Ferdinand Céline sur la Grande Guerre

Les discours de Louis-Ferdinand Céline sur la Grande Guerre

par Charles-Louis Roseau

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 

Intéressé par la représentation de la Guerre de 14-18 dans l’œuvre de Céline, Charles-Louis Roseau a mené deux travaux universitaires sur ce sujet. Achevé en 2006, le premier traite du corps et de la Grande Guerre chez Céline et le peintre Allemand Otto Dix. Plus récemment, il a soutenu une étude [ à télécharger ici (clic droit puis "enregistrez la cible du lien sous")] portant sur les évolutions et les enjeux du discours célinien sur la Première Guerre mondiale entre 1912 et 1961. Il livre ici quelques pistes de réflexions.

Sur Internet, dans la rubrique culturelle des médias plus traditionnels, dans les manuels de littérature, Louis-Ferdinand Céline est bien souvent présenté, aux côtés de Barbusse, Cendrars, Dorgelès et bien d’autres, comme l’une des figures essentielles des écrivains combattants. Très en vogue depuis les années 1990, cette représentation du Céline soldat des tranchées n’est cependant pas totalement inédite. Au contraire, elle n’a jamais cessé de perdurer, depuis qu’en 1932, lors de la parution de Voyage au bout de la nuit, les journalistes et les lecteurs ont relevé la force du témoignage célinien sur la première conflagration mondiale. Dans les années 1960, par exemple, prié de donner ses impressions sur le romancier, Guy Mazeline, lauréat du prix Goncourt 1932, écrivait : « je me représente le Céline qui n’a jamais, au mental, été démobilisé, le Céline bleu horizon tout dépenaillé avec sa capote écornée comme un livre sale, ses bandes molletières qui godent à la manière de ces crayons, vous vous souvenez ? (1) »
Pourquoi se représenter Céline en soldat de la Grande Guerre alors que l’auteur a porté bien d’autres masques et occupé bien d’autres fonctions ? Pourquoi le décrire comme un témoin majeur alors que le récit de son expérience du front, trois mois de guerre de mouvement, ne tient essentiellement qu’à la centaine de pages qui ouvrent son premier roman ? Il est évidemment très délicat, voire impossible, d’estimer l’intensité des souffrances éprouvées par un soldat de 14-18. Il serait tout aussi maladroit de tenter d’évaluer le réalisme ou l’authenticité d’un témoignage sur la Grande Guerre. Néanmoins, dans le cas de Céline, on reste persuadé que c’est davantage l’investissement fictionnel du thème que l’expérience martiale qui contribua à forger la figure du témoin.
Le déséquilibre observé entre, d’une part, le passage éclair à dos de cheval dans une guerre encore indécise, et, d’autre part, le récit constant, dans les discours céliniens, littéraires ou périphériques, de l’expérience des combats, invite à réfléchir sur la naissance, la construction et la pérennisation du mythe du Céline soldat de 14-18. A l’origine, on trouve bien entendu la contamination permanente et réciproque, chère au romancier, du réel par la fiction. Il est effectivement surprenant de constater comment la légende de la blessure au bras et à la tête, formulée publiquement pour la première fois en 1932, évolue et s’étoffe par la suite dans les entretiens, dans les articles et dans les romans postérieurs de l’écrivain. De même, véritable leitmotiv de l’œuvre célinienne, l’épisode de l’engagement fait l’objet d’un réagencement constant que l’auteur réinvente dans chacun de ses discours publiques ou intimes. La propagation du mythe, quant à elle, met nécessairement en jeu un environnement communicationnel qui, dans le cas de Céline, s’avère polyphonique et terriblement complexe. Puisque fiction et réalité se trouvent mêlées en un unique et même discours, puisque les propos intimes du Docteur Destouches se voient souvent relayés et parfois publiés aux côtés d’énonciations publiques, il convient de mettre les choses au clair en considérant les différents éléments de l’environnement communicationnel dans lequel fut colportée la légende du Céline combattant.
Apparaissent alors les notions de destinateur, de destinataire, de message, d’objectif et de contexte. Ces dernières mettent en exergue combien le thème de la Grande Guerre évolua dans le discours célinien entre 1912, année de l’entrée à la caserne, et 1961, date de la mort de l’auteur. Revanchardes dans les années 1900, libertaires au moment de l’exil africain, antimilitaristes durant dans l’entre-deux-guerres, réactionnaires et cocardières sous l’occupation, paradoxalement patriotes et pacifistes dans les années 1950, les figures du récit martial célinien, parce qu’elles se conforment tant au contexte d’énonciation qu’aux attentes supposées des destinataires, sont terriblement mouvantes.
La mémoire de la Grande Guerre a ceci de particulier qu’elle a touché toutes les familles de France. En réveillant le souvenir 14-18, Céline était donc en mesure d’attirer l’intérêt de nombreux destinataires. Peut-être peut-on voir dans les variations du thème martial une tentative incessante d’unisson mémorielle avec le souvenir changeant de la Grande Guerre ? Et au-delà de cette volonté de conformité perpétuelle, ne pourrait-on pas mettre au jour un usage tactique et multiforme du souvenir de 14-18 susceptible de mener à bien des objectifs personnels ? Le récit célinien de la Grande Guerre serait alors à considérer comme la clé d’un succès littéraire initié dans les années 1930. En s’inspirant des romans de guerre nouvellement populaires, le romancier entendait conquérir un public large et s’assurer, ainsi qu’il l’avoua lui-même, popularité et recettes juteuses. De même, le recours constant, durant les différents procès Céline, aux souvenirs du combat, aux stigmates ou aux décorations, sembla fonctionner puisque c’est précisément parce qu’il était invalide de guerre que l’ancien combattant Destouches fut amnistié.
Le 20 août 1916, le jeune Destouches écrivait à ses parents : « je ne me connais encore que deux infirmités, une paralysie radiale qui m’a rapporté la médaille militaire – et une légère phobie inconstante qui ne m’a encore rien rapporté. » Il n’envisageait pas encore combien son passage au front pourrait lui rapporter…

Charles-Louis ROSEAU


1- Guy Mazeline, « Cher Bardamu mon concurrent », Céline, Paris, Éditions de l’Herne, 1963, 1965, 1972, réédition 2007, p. 179.


 

mardi, 16 novembre 2010

La ballade de Marc Hanrez

La ballade de Marc Hanrez

9782888920588.jpgLes lecteurs de ce blog (*) n'ignorent pas que Marc Hanrez fut l’un des pionniers de la recherche célinienne. Auteur en 1961 d’une des premières monographies sur Céline (1), il a publié, il y a quatre ans, une somme réunissant ses principaux articles sur l’écrivain (2). Il fut aussi le maître d’œuvre d’un important cahier de L’Herne sur Drieu La Rochelle (3). Et l’auteur d’innombrables études sur ses écrivains de prédilection, d’Abellio à Nimier en passant par Proust ou Genet. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est aussi, et depuis longtemps, poète. Poète discret puisque son premier recueil, La Grande chose américaine, a paru en 1992 (4), le suivant, Colomb, Cortex & Cie, datant de 2004 (5). Jamais deux sans trois. Voici que paraît Chemin faisant, ballades (en vers libres) remontant le temps.
Marc Hanrez avait dix ans en 1944. Dans la première partie de ce recueil, « Grandir en guerre », il fait revivre son enfance bruxelloise sous l’occupation, puis à la Libération. Prodigieuse puissance de la mémoire ! Mille et une images gravées et autant d’émotions. L’humour aussi qui affleure parfois :
« dans notre tram ce jour-là monte
en culotte de cheval
un officier allemand
quelle mouche alors me pique
avant-bras levé de faire un salut
que l’autre par réflexe rend au polisson »

La partie intitulée « L’Europe se lève à l’est » évoque trois villes, Vienne, Budapest et Prague, bousculées par l’histoire au siècle précédent :

« Vienne en première vision
l’année du Troisième Homme
ce film-culte avant la lettre
aussitôt vénéré pour son
thème à la cithare et son tournage
en clairs-obscurs
la ville entière me servant de cadre
au visage idole d’Alida Valli
et voir sourire Orson Welles causant
guerre et paix version suisse
au pied de la Grande Roue »

La force du texte, c’est, en quelques mots sobres, de ressusciter toute une époque enfouie mais à jamais vivante sous la plume imagée du poète. La troisième partie, « À verbe d’oiseau », nous le montre en observateur attentif de la nature. Le meilleur Jules Renard, celui du Journal, trouve ici un épigone inattendu. Et de conclure par un hommage à Hergé, immortel créateur de Tintin, tous deux « Bruxellois de souche » — comme l’est aussi Marc Hanrez.

Marc LAUDELOUT

• Marc Hanrez, Chemin faisant (Ballades), Xénia Éditions, 2010.
Note:
(*) http://lepetitcelinien.blogspot.com/

1. Céline, Éd. Gallimard, coll. « La Bibliothèque idéale », 1951 (éd. révisée en collection de poche, 1969). Robert Poulet le considérait comme « un ouvrage consciencieux, intelligent, d’un jugement qui semble parfaitement libre » (Pan, 20 décembre 1961 ; compte rendu repris dans Le Bulletin célinien, n° 254, juin 2004). Voir aussi Le Bulletin célinien, n° 279, octobre 2006 qui comprend un dossier consacré à Marc Hanrez.
2. Le Siècle de Céline, Dualpha, coll. « Patrimoine des lettres », 2006.
3. Drieu La Rochelle, Les Cahiers de l’Herne, n° 42, 1982.
4. La Grande chose américaine (illustrations de Paul Hanrez), Cadex Éditions, 1992.
5. Colomb, Cortez & Cie, Cadex Éditions, 2004.

mardi, 09 novembre 2010

Le Bulletin célinien n°324 - novembre 2010

Le Bulletin célinien n°324 - novembre 2010

ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 

Sortie du Bulletin célinien n°324 de novembre 2010.
Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
Frédéric Saenen : Céline, fictions du politique
*** : Céline songeait à la Pléiade dès 1951
M. L. : Dictionnaire des injures littéraires
M. L. : Le souvenir de Roland Cailleux
Roland Cailleux : Rencontre avec Marcel Aymé (1943)
Une lettre de Roland Cailleux à Céline
David Labreure : Pour une médecine du travail
M. L. : La ballade de Marc Hanrez

Un numéro disponible contre un chèque de 6 euros.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, B 1000 Bruxelles 22
 
 
Le Bloc-Notes de Marc Laudelout

 

J’ai salué ici l’excellent article de Christophe Mercier sur la correspondance de Céline dans Commentaire (1). Il semble que plusieurs lecteurs de cette revue aient réagi différemment. Dont Jean-Claude Weill, de l’Institut universitaire de France, qui n’a pas apprécié une phrase bien anodine sur « les sulfureux pamphlets faisant partie du délire qui, maîtrisé, fait le prix de ses grands livres ». Ou une autre visant les « plumitifs qui poussent des cris d’orfraie au seul nom de Céline ». Et de se fendre d’une lettre au directeur de la revue dans laquelle il rapproche la réplique de Céline à Robert Desnos en 1941 de la mort de celui-ci survenue en déportation trois ans plus tard (2).
En fait, il n’est apparemment plus possible de célébrer le génie de Céline sans devoir obligatoirement rappeler qu’il est l’auteur de lignes condamnables. Ce qui prête à réflexion, c’est que lorsque la même revue, sous la plume du même chroniqueur, tresse des lauriers à Aragon pour ses Œuvres poétiques complètes dans la Pléiade, cela ne suscite en revanche aucune réaction. Or, dans ce cas, la revue ne se fait pas un devoir de rappeler que dans Hourra l’Oural (inclus dans cette édition) le poète stalinien approuvait de manière infâme l’assassinat du tsarévitch. Pas plus qu’elle ne voit la nécessité de rappeler que, dans un poème davantage connu, Aragon appelait de ses vœux « le Guépéou nécessaire de France ».
Dans sa réponse à Weill, le directeur de la revue, Jean-Claude Casanova, croit devoir préciser que son chroniqueur « ne partage aucune des opinions et des passions de Céline » [!]. Sans doute aurait-il dû s’arrêter là car il ajoute imprudemment ceci : « Céline a souhaité que ses pamphlets ne soient pas réédités. Je ne sais pas si c’est le remords ou la prudence qui inspire cette décision, mais il faut la prendre au moins comme une contrition de sa part, comme une reconnaissance de sa faute (3). » Le directeur de Commentaire connaît manifestement mal Céline. Face à un journaliste suisse qui le poussait dans ses derniers retranchements, l’auteur de Bagatelles disait textuellement ceci : « Je ne renie rien du tout… je ne change pas d’opinion du tout.. je mets simplement un petit doute, mais il faudrait qu’on me prouve que je me suis trompé, et pas moi que j’ai raison (4) ». Autre bévue que celle consistant à affirmer que « le cas Céline ne pose pas de problème moral dans son œuvre romanesque, mais en pose dans son œuvre politique ». A-t-il bien lu Céline ? « Moi qui suis extrêmement raciste » est-elle une phrase extraite des pamphlets ou d’un roman de l’après-guerre ? En réalité, Céline formula des pensées éminemment incorrectes jusqu’à la fin. C’est dire si son œuvre forme un tout et qu’il est vain de vouloir séparer le « bon » Céline du « mauvais ». Un célinien va même plus loin, estimant que « plus Céline est cruel, plus il est injuste et meilleur il est (5). »

Marc LAUDELOUT

1. Christophe Mercier, « Les lettres de Céline », Commentaire, n° 129, printemps 2010, pp. 261-263. Voir aussi Marc Laudelout, « Céline épistolier vu par la presse ( II ) », Le Bulletin célinien, n° 319, mai 2010, pp. 5 & 7-8.
2. « Lettres. La correspondance de Céline », Commentaire, n° 130, été 2010, pp. 571-572. En ce qui concerne la mort de Desnos, Jean-Paul Louis a fait litière de l’accusation en rendant Céline responsable : voir J.-P. Louis, « Desnos et Céline, le pur et l’impur » in Histoires littéraires
, n° 5, janvier-février-mars 2001, pp. [47]-60.
3. Jean-Claude Casanova in Commentaire
, n° 130, op. cit.
4. Louis-Albert Zbinden, « Miroir du temps », Radio-Télé Suisse Romande [Lausanne], 25 juillet 1957. Repris in
Céline et l’actualité littéraire, 1957-1961, « Les Cahiers de la Nrf », Gallimard, 1993 (rééd.), pp. 67-79.
5. Philippe Alméras, « Céline sent toujours le soufre »,
Le Figaro Magazine, 18 juin 1994. Repris sous le titre « Cent ans après » in Ph. Alméras, Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, pp. [241]-250.

samedi, 06 novembre 2010

J. Raspail: la patrie trahie par la République

La patrie trahie par la République

PAR JEAN RASPAIL
[Le Figaro 17 juin 2004]

 

J'ai tourné autour de ce thème comme un maître-chien mis en présence d'un colis piégé. Difficile de l'aborder de front sans qu'il vous explose à la figure. Il y a péril de mort civile. C'est pourtant l'interrogation capitale. J'ai hésité. D'autant plus qu'en 1973, en publiant Le Camp des saints, j'ai déjà à peu près tout dit là-dessus. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon que je crois que les carottes sont cuites.

raspail.jpgCar je suis persuadé que notre destin de Français est scellé, parce qu'“ils sont chez eux chez moi” (Mitterrand), au sein d'une “Europe dont les racines sont autant musulmanes que chrétiennes” (Chirac), parce que la situation est irréversible jusqu'au basculement définitif des années 2050 qui verra les “Français de souche” se compter seulement la moitié – la plus âgée – de la population du pays, le reste étant composé d'Africains, Maghrébins ou Noirs et d'Asiatiques de toutes provenances issus du réservoir inépuisable du tiers monde, avec forte dominante de l'islam, djihadistes et fondamentalistes compris, cette danse-là ne faisant que commencer(1).

La France n'est pas seule concernée. Toute l'Europe marche à la mort. Les avertissements ne manquent pas – rapport de l'ONU (qui s'en réjouit), travaux incontournables de Jean-Claude Chesnais et Jacques Dupâquier, notamment –, mais ils sont systématiquement occultés et l'Ined pousse à la désinformation. Le silence quasi sépulcral des médias, des gouvernements et des institutions communautaires sur le krach démographique de l'Europe des Quinze est l'un des phénomènes les plus sidérants de notre époque. Quand il y a une naissance dans ma famille ou chez mes amis, je ne puis regarder ce bébé de chez nous sans songer à ce qui se prépare pour lui dans l'incurie des “gouvernances” et qu'il lui faudra affronter dans son âge d'homme...

Sans compter que les “Français de souche”, matraqués par le tam-tam lancinant des droits de l'homme, de “l'accueil à l'autre”, du “partage” cher à nos évêques, etc., encadrés par tout un arsenal répressif de lois dites “antiracistes”, conditionnés dès la petite enfance au “métissage” culturel et comportemental, aux impératifs de la “France plurielle” et à toutes les dérives de l'antique charité chrétienne, n'auront plus d'autre ressource que de baisser les frais et de se fondre sans moufter dans le nouveau moule “citoyen” du Français de 2050. Ne désespérons tout de même pas. Assurément, il subsistera ce qu'on appelle en ethnologie des isolats, de puissantes minorités, peut-être une quinzaine de millions de Français – et pas nécessairement tous de race blanche – qui parleront encore notre langue dans son intégrité à peu près sauvée et s'obstineront à rester imprégnés de notre culture et de notre histoire telles qu'elles nous ont été transmises de génération en génération. Cela ne leur sera pas facile.

Face aux différentes “communautés” qu'on voit se former dès aujourd'hui sur les ruines de l'intégration (ou plutôt sur son inversion progressive: c'est nous qu'on intègre à “l'autre”, à présent, et plus le contraire) et qui en 2050 seront définitivement et sans doute institutionnellement installées, il s'agira en quelque sorte – je cherche un terme approprié – d'une communauté de la pérennité française. Celle-ci s'appuiera sur ses familles, sa natalité, son endogamie de survie, ses écoles, ses réseaux parallèles de solidarité, peut-être même ses zones géographiques, ses portions de territoire, ses quartiers, voire ses places de sûreté et, pourquoi pas, sa foi chrétienne, et catholique avec un peu de chance si ce ciment-là tient encore.

Cela ne plaira pas. Le clash surviendra un moment ou l'autre. Quelque chose comme l'élimination des koulaks par des moyens légaux appropriés. Et ensuite?

Ensuite la France ne sera plus peuplée, toutes origines confondues, que par des bernard-l'ermite qui vivront dans des coquilles abandonnées par les représentants d'une espèce à jamais disparue qui s'appelait l'espèce française et n'annonçait en rien, par on ne sait quelle métamorphose génétique, celle qui dans la seconde moitié de ce siècle se sera affublée de ce nom. Ce processus est déjà amorcé.

Il existe une seconde hypothèse que je ne saurais formuler autrement qu'en privé et qui nécessiterait auparavant que je consultasse mon avocat, c'est que les derniers isolats résistent jusqu'à s'engager dans une sorte de reconquista sans doute différente de l'espagnole mais s'inspirant des mêmes motifs. Il y aurait un roman périlleux à écrire là-dessus. Ce n'est pas moi qui m'en chargerai, j'ai déjà donné. Son auteur n'est probablement pas encore né, mais ce livre verra le jour à point nommé, j'en suis sûr...

Ce que je ne parviens pas à comprendre et qui me plonge dans un abîme de perplexité navrée, c'est pourquoi et comment tant de Français avertis et tant d'hommes politiques français concourent sciemment, méthodiquement, je n'ose dire cyniquement, à l'immolation d'une certaine France (évitons le qualificatif d'éternelle qui révulse les belles consciences) sur l'autel de l'humanisme utopique exacerbé. Je me pose la même question à propos de toutes ces associations omniprésentes de droits à ceci, de droits à cela, et toutes ces ligues, ces sociétés de pensée, ces officines subventionnées, ces réseaux de manipulateurs infiltrés dans tous les rouages de l'Etat (éducation, magistrature, partis politiques, syndicats, etc.), ces pétitionnaires innombrables, ces médias correctement consensuels et tous ces “intelligents” qui jour après jour et impunément inoculent leur substance anesthésiante dans l'organisme encore sain de la nation française.

Même si je peux, à la limite, les créditer d'une part de sincérité, il m'arrive d'avoir de la peine à admettre que ce sont mes compatriotes. Je sens poindre le mot renégat, mais il y a une autre explication: ils confondent la France avec la République. Les “valeurs républicaines” se déclinent à l'infini, on le sait jusqu'à la satiété, mais sans jamais de référence à la France. Or la France est d'abord une patrie charnelle. En revanche, la République, qui n'est qu'une forme de gouvernement, est synonyme pour eux d'idéologie, idéologie avec un grand “I”, l'idéologie majeure. Il me semble, en quelque sorte, qu'ils trahissent la première pour la seconde.

Parmi le flot de références que j'accumule en épais dossiers à l'appui de ce bilan, en voici une qui sous des dehors bon enfant éclaire bien l'étendue des dégâts. Elle est extraite d'un discours de Laurent Fabius au congrès socialiste de Dijon, le 17 mai 2003: “Quand la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d'une jeune Française issue de l'immigration, ce jour-là la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les valeurs de la République...”

Puisque nous en sommes aux citations, en voici deux, pour conclure: “Aucun nombre de bombes atomiques ne pourra endiguer le raz de marée constitué par les millions d'êtres humains qui partiront un jour de la partie méridionale et pauvre du monde, pour faire irruption dans les espaces relativement ouverts du riche hémisphère septentrional, en quête de survie.” (Président Boumediene, mars 1974.)

Et celle-là, tirée du XXe chant de l'Apocalypse: “Le temps des mille ans s'achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des saints et la ville bien-aimée.”

*Ecrivain, romancier.

(1)Le délicat iman de Vénissieux, en vertu du jus soli, a engendré à lui seul seize petits citoyens français.

 

vendredi, 05 novembre 2010

Romain Gary, "camaleonte" e libertario

Romain Gary, "camaleonte" e libertario

di Roberto Alfatti Appetiti

 


Fonte: Roberto Alfatti Appetiti (Blog) [scheda fonte]

 

Romain-Gary_5084.jpgDigiti “Romain Gary” su google e le prime foto che appaiono ritraggono lo scrittore francese d’origine ebreo-russa accanto a una graziosa biondina, visibilmente più giovane di lui. L’impressione è di averla già vista. Ma sì, è Jean Seberg, l’adolescente malinconica di Bonjour tristesse, l’icona che meglio di altri ha incarnato sul grande schermo lo smarrimento della gioventù borghese del secondo dopoguerra. Si erano sposati nel ’62 – 24 anni lei, il doppio lui – per poi separarsi otto anni dopo e infine ritrovarsi in un comune tragico destino: quando entrambi sono stati sconfitti e – per dirla con una battuta di Patricia, la protagonista di À bout de souffle interpretata dalla Seberg nel ’60 – «ormai è troppo tardi per avere paura».

 

Se lei nel settembre del ’79, appena quarantenne ma sempre più instabile psicologicamente, era stata trovata morta in una automobile parcheggiata alla periferia di Parigi, l’anno successivo – il 3 dicembre del ’80, giusto trent’anni fa – fu Gary stesso a scrivere la sceneggiatura del proprio congedo dal mondo. Curandone ogni dettaglio: la pistola con cui bruciarsi il cervello e la vestaglia di seta rossa, comprata e indossata per l’occasione affinché nell’appartamento di rue du Bac il sangue si notasse meno. Un biglietto d’addio lasciato per eliminare sin troppo facili interpretazioni, prendere le distanze dalla ex moglie, la cui militanza nelle Pantere nere s’era fatta via via più imbarazzante, e ristabilire così davanti all’eternità chi fosse l’unico protagonista della scena: «Nessun rapporto con Jean Seberg. I patiti dei cuori infranti sono pregati di rivolgersi altrove».

Il colpo di scena, tuttavia, non arrivò del tutto inaspettato. Malgrado l’invidiabile palmarès – in cui fa bella mostra il sia pur impolverato Goncourt del ’56 per Le radici del cielo, forse il primo romanzo autenticamente ecologista – la critica militante lo considerava un autore a fine carriera, un vecchio “trombone” che ancora parlava di onore e fedeltà, col gusto dannunziano del gran gesto e prigioniero del proprio personaggio fino a morirne. In fondo la sinistra non l’aveva mai amato, nonostante Sartre avesse giudicato il suo Educazione europea – il libro che nel ’45 lo fece conoscere al grande pubblico, in cui racconta la storia di un gruppo di resistenti polacchi attraverso gli occhi di Janek, orfano quattordicenne – il miglior testo sulla resistenza.

romainGaryProm.jpgLo guardavano con diffidenza, ritenendolo un autore reazionario per il suo passato di eroe di guerra e poi di diplomatico gollista. E lui – che pure aveva rischiato la morte per disertare e aderire all’appello lanciato il 18 giugno del ’40 da De Gaulle a Londra di continuare la lotta contro i nazisti – non perdeva occasione per esprimere la delusione in quelle forze con cui durante la guerra si era trovato a «essere così spesso dalla stessa parte che non posso più perdonargli niente». Tradite le speranze del dopoguerra «dalle idee che si comportano in maniera sbagliata», scelse di chiamarsi fuori dalla logica dei blocchi contrapposti: «Non accetto nessuna crociata – spiegò – perché non accetto nessuna fede e rifiuto d’essere convertito. Non conosco certezze e il solo bene che difendo è il diritto al dubbio». Senza mai riuscire a diventare un cinico: «Sono quarant’anni che trascino intatte per il mondo le mie illusioni, nonostante tutti gli sforzi per sbarazzarmene e per riuscire, una volta per sempre, a non sperare più». Se non nella politica, almeno nella letteratura intesa come nascondiglio: «Vorrei che i miei libri fossero rifugi e che aprendoli gli uomini ritrovassero i loro valori e capissero che, se hanno potuto forzarci a vivere come bestie, non hanno potuto costringerci a disperare».

Quando la contestazione giovanile cerca nuovi riferimenti intellettuali, l’immagine di Gary sembra coincidere con la vecchia Francia “coccardiera”, compromessa con quel sistema di potere gollista che si vorrebbe spazzare via. I suoi libri continuano a vendere ma i salotti lo trattano come un appestato e Gary – per aggirare il muro di reticenza che gli avevano costruito attorno o per dedicare loro un vero e proprio sberleffo – s’inventa Emile Ajar. E miracolosamente gli stessi che lo stroncavano immediatamente salutarono lo sconosciuto Ajar come «lo scrittore più promettente degli anni Settanta» senza sapere che si trattava della stessa persona. Qualche indizio c’era: Ajair in russo indica la “brace” e Gari significa “brucia”. Eppure nessuno sospetta nulla, tanto che nel ’75 Ajar si aggiudica il Goncourt per La vita davanti a sé, riconoscimento che non potrebbe essere assegnato allo stesso autore per due volte.
Quel che conquista critica e pubblico, decine di migliaia le copie vendute, è il linguaggio gergale e poetico al tempo stesso con cui viene tratteggiato – vent’anni prima che lo faccia Daniel Pennac – il mondo delle banlieu e la trasformazione che già dagli anni Quaranta stava colorando il volto di interi quartieri parigini. Una narrazione dal basso fatta attraverso la lente della quotidianità, che ha per protagonisti gli ultimi, gli innocenti, i reietti che ancora non sanno di esserlo. Come Momo, la voce narrante, che scoprirà solo crescendo il razzismo, «perché i neri finché sono bambini non dispiacciono a nessuno». Momo, infatti, è algerino e insieme ad altri “nati di traverso” – figli di prostitute – vive nel “pensionato” di Madame Rosa, a sua volta ex prostituta ebrea che sopravvive offrendo loro ospitalità in cambio di una pigione (magistrale l’interpretazione che nel film tratto dal libro nel ’78 fruttò a Rosa/Simone Signoret un César come migliore attrice).

Chi avrebbe potuto immaginare che quel “socialismo dal volto umano” applicato alla letteratura – «un romanzo toccato dalla grazia» lo ha definito Stenio Solinas – potesse essere opera di uno scrittore conservatore ormai prestato alla diplomazia e apparentemente interessato più alle frequentazioni del jet set internazionale e alle sue amanti che non a farsi cantore della società multietnica? Sarà la pubblicazione (postuma) di Vie et mort di Emile Ajar a rivelare la vera identità dell’autore, sino a quel momento attribuita al nipote di Gary.
 
«Per essere qualcuno bisogna essere molti», fa dire a Momo e Ajar non era certo l’unico degli pseudonimi di Romain Gary, il cui vero nome peraltro è Roman Kacew. Non a caso il titolo della biografia dedicatagli da Myriam Anissimov, ancora non disponibile in lingua italiana, è proprio Il camaleonte. Per lunghi anni assente dalle nostre librerie, grazie alle edizioni Neri Pozza le opere di Romain Gary nell’ultimo lustro sono tornate disponibili.
L’ultima in ordine di tempo, fresco di tipografia, è Mio caro Pitone (pp. 238, € 12,50), la prima, nel ’74, a firma di Emile Ajar, vera e propria denuncia dell’incomunicabilità del mondo moderno (come suggerisce il titolo, il protagonista, per lenire la propria solitudine finirà per accompagnarsi a un pitone). Con una rapida visita in libreria e a prezzi contenuti si possono portare a casa, oltre ai titoli già citati, gli altri romanzi recentemente ristampati dalla casa editrice milanese, tra cui Cane bianco (2009, pp. 238, € 12,50) – in cui Gary, convinto che «scopo della democrazia sia far accedere ogni uomo alla nobiltà», mette alla berlina la «democrazia americana» in bilico tra il razzismo della destra e l’ipocrisia delle anime belle democratiche – e Biglietto scaduto (2008, pp. 223, € 12).
In quest’ultimo più che in altri si rivelano i motivi reali della fatica di vivere dello scrittore. La molla che fa scattare il malessere è data dal comparire sulla scena di un amico del protagonista. L’uomo che ha di fronte sembra solo l’ombra del milionario brillante e circondato di donne che dieci anni prima aveva ammirato con un pizzico di invidia. Che delusione rivederlo irrimediabilmente invecchiato e alle prese con l’impotenza, lui che – come Gary, del resto – era un vero playboy. E il declino della virilità – descritto con cruda (auto?)ironia – in questo “romanzo della decadenza” non rappresenta soltanto l’ossessione principale del protagonista ma anche la metafora del declino di un’Europa che non crede più a se stessa. «Pagheremo l’aver perso in creatività – scrive Gary – il non avere più orgoglio, l’aver delegato alle multinazionali, il confondere l’economia con la politica, il pensare che gli sfruttati se ne staranno tranquilli al loro posto».
Guardarsi indietro non dà alcun sollievo: «Cerco di calmarmi chiudendo gli occhi e facendo il conto di tutti i nazisti che ho ucciso durante la guerra – scrive – ma questo non fa che deprimermi ulteriormente perché vorresti ammazzare l’ingiustizia eppure finisci sempre per ammazzare degli uomini». In tempo di pace – diceva Nietzsche – l’uomo guerriero si scaglia contro se stesso e Gary, alla fine dei conti, aveva nostalgia del ragazzo guerriero che era stato tanti anni prima, quello che tra un’impresa estrema e l’altra, tra una missione di guerra in terra d’Africa e un duello per salvare l’onore, aveva finito per cedere il passo al borghese che mai avrebbe pensato di diventare. «I borghesi – fa dire a Pech in Educazione europea (ristampato da Neri Pozza nel 2006) – sono uguali dappertutto e mandano la stessa puzza in tutti i paesi del mondo». C’era forse del rimpianto quando Gary rivolgeva (a se stesso?) il seguente avvertimento: «Bisogna davvero riuscire a conservare in sé qualche traccia inestirpabile di ciò che si è stati prima di quella grande disfatta che si chiama maturità».

 

 


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mardi, 02 novembre 2010

Céline e il dramma biologico della storia

Céline e il dramma biologico della storia

di Luca Leonello Rimbotti

Fonte: Italicum [scheda fonte]


celine.jpgInfernale manipolatore della parola oppure sacerdote ideologico della décadence?  Inventore nichilista di quadri solo letterari, oppure geniale interprete politico di una civiltà al tramonto? Insomma: il fin troppo noto anarchisme di Céline è una posa individualista, oppure un vero e proprio manifesto sociale e antropologico? Possiamo ancora oggi leggerlo in tanti modi, Céline. Ma, se vogliamo andare al fondo della sua anima, tra gli squarci e gli urli, le maledizioni e le ingiurie è possibile trovare netta e precisa un’interpretazione della storia europea. Céline è un analista del tracollo dell’Europa, rappresenta un sensore sensibile agli smottamenti e alle derive, denuncia e preavverte, minaccia e sibila oltraggi alla maniera di un apocalittico profeta antico: magari l’“Ezechiele parigino” di cui parlò Pol Vandromme. C’è in Céline la sensiblerie di un osservatore straziato, che ha sottomano la disintegrazione della civiltà europea e ne grida i misfatti, attraverso le sue storie disperate, ma anche attraverso pagine e pagine di lamentazioni millenaristiche. Céline sa di trovarsi di fronte a uno sbocco, nel centro di uno snodo di epoche, dal cui scioglimento dipenderà l’avvenire del suo mondo. E il suo mondo è l’Europa tradizionale. L’Europa nordica franco-germanica. L’Europa dei popoli sani che fanno la civiltà e la storia.

L’Europa delle aristocrazie di stirpe. Céline – è stato osservato – fu allievo del de Gobineau nel soffrire la decadenza come un’ingiuria ineluttabile, forse anche necessaria. Come una fine obbligata, soltanto dalla quale poi ripartire per un nuovo inizio. Già molti anni fa, nel 1974, lo studioso Paolo Carile rilevò la filiazione di Céline dalla inquadratura gaubinista e dall’antropologia di Ėlie Faure, e la rilevò dalla sua lettura degli eventi moderni come dramma biologico della storia, al culmine del quale si attua il precipitare dell’ordine antico in una sequela di accelerati sfaldamenti.


Faure era un critico d’arte socialista che spiegava le aggregazioni estetiche come esito di combinazioni positive di sangue e di influssi ambientali, e in questo modo si confrontò con l’ideologia di Gobineau, di cui però rovesciava gli assunti: gli incroci come esiti positivi, come moltiplicatori delle possibilità creative. Nondimeno, egli attribuiva alla forza dinamica ìnsita nei popoli e negli individui il valore di un condizionamento, attraverso il dispiegarsi di dispositions ethnobiologiques determinanti nel formare l’anima collettiva. Céline, che fu in rapporti col Faure, si abbeverò a questa dimensione di un’energia occulta che sanziona le predisposizioni, e Carile appunto ne scorse la manifestazione nel concetto céliniano di âme, l’anima “ancorata ad un’interpretazione strettamente biologica che non accetta gli slanci mistici fauriani”, quale compare, ad esempio, in Mea culpa del 1936. “Céline si credeva depositario di una profezia la cui rivelazione era fondamentale per la salvezza dell’umanità”, ha scritto molti anni fa Vandromme. Difatti, sembra sempre di sentire rintoccare la campana apocalittica di un ultimo evento, di una imminente catastrofe che attende l’Europa nel fondo del suo declino. E questo, tanto nelle sue storie di trascinamenti nei degradi scuri della psiche metropolitana, quanto nelle filippiche nevrotiche dei suoi luciferini e brutali pamphlet. Con, al centro, ogni volta, l’allucinazione dello sfacelo fisico e mentale, dell’abbrutimento, la febbricitante sofferenza per l’oscenità della lenta, sicura consunzione che attanaglia l’individuo spoglio e isolato, così come le plebi, i popoli, l’Europa intera.
Si è individuato nell’inizio del 1942 – con la brutta piega presa dalla guerra “tedesca” - il momento del distacco di Céline da ogni furore di lotta positiva: ciò che fino a quella data egli ancora riteneva possibile attraverso la violenta liberazione di tutte le energie ancora inespresse dalla Francia e dall’Europa germanizzate, cioè un arresto della nostra civiltà sull’orlo dell’abisso e un raddrizzamento dei fini e dei modi, da allora in poi divenne disperata ricerca di un precipizio in cui gettare l’uomo e la sua incapacità di salvarsi. Il fatalismo céliniano non è tuttavia rassegnato: è esibizione di volontà di rovina. In questo, egli rappresenta al meglio la tragicità di un modo d’essere incapace di interpretare la realtà, altrimenti che nei modi manichei del trionfo o della catastrofe. E allora, se il trionfo non poteva più aversi, si sarebbe dovuto volere la catastrofe. E tanto più grandiosa e definitiva, tanto meglio.

“Cronista tragico”, si definì Céline in un’intervista del 1960. Cronista in grado di intercettare e di rappresentare il tragico dell’epoca, come a pochi era stato concesso. Poiché, così aggiunse, “la maggior parte degli autori cercano la tragedia senza trovarla”. Lui invece la trovò, si agitò al centro del ciclone e sospinse il dramma fino ai suoi limiti radicali. Lo psicodramma di Céline – che non fu certo il solo nella sua epoca a vivere questa dimensione dell’assurdo totale – rappresenta il destino europeo sotto la specie di una tragedia personale elevata a simbolo di un mondo e di una generazione.


L’ossessione per la degenerazione psico-fisica dell’uomo occidentale diventa in Céline una sorta di  manifesto bioetico, depotenziato forse per l’ambiguo estremismo del linguaggio popolaresco, che cerca nell’argot dei bassifondi la parola infame per descrivere le brutture della vita; ma potenziato, d’altra parte, proprio dalla consapevolezza, vissuta forse come bagaglio d’esperienze del “medico dei poveri”, dell’illimitata miseria delle masse umane urbanizzate e rese indegne, ignobili, dalle logiche della società capitalista moderna. La purezza, in questo quadro, è un vero richiamo al mito di un’unità di specie che è andata perduta per la violenza e le ingiustizie del mondo. Una purezza introvabile ormai, il paradiso perduto dell’uomo nel suo eterno inganno moralista. Già nel Viaggio al termine della notte, Céline tratteggia la sua rabbia per l’impossibilità fisica di igienizzare l’umanità povera, per redimerla, per dunque ripulire dal male la razza e restituirla a una qualunque dignità. Le parole con cui rappresenta la mescolanza oscena dei miserabili della banlieue e dei quartieri poveri – da lui ben conosciuta di persona – sono l’attestato del suo dolore per un disfacimento ormai irrefrenabile: “la razza…è un ammasso di malandati, pidocchiosi, miserabili che sono capitati qui per causa di fame, peste, tumori e freddo…da tutte le parti del mondo…”.

Ed ecco qua, pertanto, una prima applicazione di quella consapevolezza per il “dramma biologico della storia” di cui dicevamo, e che Céline vedeva chiaramente all’opera nel cuore parigino della France eternelle. Un cuore marcio, scolpito con tutte le putredini della mescolanza. Questo orrifico affastellamento di destini assemblati dal caso è la risultante del tradimento che l’uomo moderno ha compiuto nei confronti della nobiltà dell’appartenenza di stirpe. Céline il bretone, orgoglioso della sua nordicità, della limpidezza dei suoi trascorsi ereditari di terra e di sangue, vive la lacerazione dolorosa di una realtà, quella della cosmopoli parigina, borghese e progressista, liberale e capitalista, che affoga ogni nobile istinto nella primitiva lotta per il possesso materiale, per il lusso. Sopra sta la borghesia che si rimpinza le budella e, dice Céline, si dimentica sempre di passare alla cassa per pagare. Sotto sta la massa dei disperati disonorati, condannati alla perversione di pagare il benessere altrui con la propria allucinante miseria. Non più un popolo, ma feccia senza nome. Non più nemmeno massa, ma semplice turba depravata, scavata dalla malattia, finita dal degrado.

Questo è il “socialismo nazionalista” di Céline: una rivolta del sentimento estetico, prima ancora che sociale. Una rivolta per la sanità del corpo e della mente liberati, un gridare carico d’odio in nome della vendetta per le masse deturpate dall’alcool, dal lavoro logorante e animalesco, dall’assenza di ogni segno di nobiltà. Poiché – lo scrisse proprio Vandromme – ciò che vuole questo anarchista (più che anarchico), irrazionalmente devoto alle sue radici celtiche di purezza, è per l’appunto la restaurazione di un mito aristocratico di nobiltà.

 
“Céline crede nella sola cosa necessaria, nel ritorno a una vita nobile”, ha commentato infatti Vandromme. Una nobiltà che appartiene alla concezione tradizionale e antimodernista della vita, di cui Céline fu uno dei massimi rappresentanti novecenteschi. “Vedo l’uomo tanto più inquieto quanto più ha perduto il gusto delle favole, del mito, inquieto fino alla disperazione…” scrisse Céline in Les beaux draps. E aggiunse che l’uomo moderno è come preda di una comune pazzia acquisitiva, un tormento superficiale per i beni materiali che gli fa dimenticare ogni dimensione legata all’irrazionale, al bello, al superiore, al gratuito. Ogni dimensione legata insomma alla natura, rappresentando la società progressista essenzialmente l’anti-natura. E questa anti-natura si esprime sinistramente nel dilagare di tutto ciò che è basso e informe, dando vita a una specie di Sodoma universale, in cui l’impuro imbratta ogni retaggio, corrompe ogni antica bellezza. “Il fatalismo biologico lombrosiano che implica il naufragio di ogni capacità autodecisionale non è lontano da certe pessimistiche considerazioni antropologiche di Céline”. Questa osservazione di Carile ci mostra quanto centrale fosse nel dottor Destouches l’apprensione per il destino del corpo dell’uomo europeo, aggredito da tutte le degenerazioni della massificazione e dell’edonismo borghese. Davanti allo spettacolo di corruzione dei corpi e delle menti, Céline reagisce con l’insulto e con l’odio forsennato, oppure con il gesto picaresco dello sberleffo, l’ironia, la rigolade. Ultimo rifugio – come nel “lazzarone” napoletano – di un’umanità di vinti condannata al disonore e all’anonimato sociale.


Della sua epoca fortemente ideologizzata e rivoluzionaria, densa di contraddizioni sociali e di aperture politiche chiliastiche, Céline apprese l’inclinazione radicale verso l’apocalisse. Interpretò il fascismo come un’arma di raddrizzamento del piano inclinato e in favore di un sorgere dell’élite nuova, della giovane aristocrazia che imponesse nuovi codici di etica comunitaria e di onore sociale. Il tutto inquadrando nel contesto di un amore viscerale per la carne, per il corpo fisico dell’uomo, elevato a simbolo sommo dell’ideale di purezza. Le pagine che, ad esempio, Céline dedicò alla bellezza estetica della danza, di cui era ammirata interprete la moglie, gli accenti lirici che spese a proposito del bel gesto armonico, dell’aggraziato flettersi del corpo, della grandezza dell’arte perché in-utile, non monetizzabile, gratuita, sono l’attestato di questo amore celiniano per l’incanto della purezza, priva di prezzo ma grandemente preziosa. Un sovramondo che aveva il suo tenebroso contraltare nel sottomondo dei deformi, degli sfiancati, dei ruderi umani che erano gli avanzi antropologici del capitalismo borghese.

Leggiamo un attimo quanto sempre Carile scrisse circa l’antropologia etica di Céline: “Céline riprende le tesi tipiche della sua generazione al fine di giustificare il proprio elitismo, frutto di un movimento psicologico di difesa dalla pessimistica sensazione della decadenza della civiltà europea. In tal modo lo scrittore, ergendosi contro il mondo moderno, crede di far barriera contro la tecnologia e il consumismo dilaganti che caratterizzano la nostra epoca ‘decadente’. L’elitismo razzista – continuava Carile – lo preserverebbe da quanto ai suoi occhi è simboleggiato negativamente dalla routine democratico-borghese. La sua ribellione lo porta ad esaltare l’irrazionalismo, la gratuità della danza e nel contempo a sublimare il proprio orgoglio aristocratico di ‘autentico celte’; dato che si considerava uno degli ultimi esempi di una razza etnicamente intatta, al di qua della torre di Babele dei popoli e delle culture imbastardite del suo tempo”. In questa analisi c’è tutto quanto il significato epocale della figura e della scrittura di Céline, questo Spengler narratore dei bassifondi del tardo impero europeo, che invoca con fanatismo disperato un’ultima resurrezione del popolo.


Céline sapeva di essere uno dei pochi capaci di andare davvero fino in fondo. Le sue scelte oltranziste – dall’antisemitismo al filogermanesimo, da Sigmaringen alla cocciuta ostinazione postbellica di non rinnegare nulla – gli attirarono un carico d’odio che soltanto oggi viene meno, per via di certi biografi che però fanno anche di peggio, dato che vogliono fare di Céline non il felino ungulato che era, ma un cappone da cortile, solo un po’ bizzarro. Lo sapeva che imboccando la strada di una difesa antropologica ed etnica dell’uomo europeo si sarebbe guadagnato una fama luciferina. Lo sapeva almeno dai tempi di Bagatelles quando, rivolgendosi a se stesso, scrisse: “Ferdinand,…t’auras le monde entier contre toi”. Avere tutto il mondo contro di sé…È il destino dei veri profeti.
                                                                                                                               


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jeudi, 28 octobre 2010

"Porte Louise", par Christopher Gérard

« Porte Louise » par Christopher Gérard

 

portelouise.pngEx: http://www.polemia.com/

L’auteur a publié deux romans, Le songe d’Empédocle (2003) et Maugis (2005), dont Pol Vandromme a dit qu’ils étaient écrits « à contre-mode de la platitude littéraire d’aujourd’hui », un essai, La source pérenne (2007), « défense et illustration du polythéisme » (Marcel Conche), et un récit, Aux armes de Bruxelles (2009), « délicieuse flânerie dans un haut lieu de la civilisation du Saint-Empire » (Bruno de Cessole).

C’est encore dans la capitale belge, où il existe bien une avenue et une Porte Louise, que se situe le nouveau roman de Christopher Gérard. Son personnage principal est une femme de 51 ans, professeur, justement prénommée Louise, qui, après trente-huit ans passés à Dublin, revient à Bruxelles, sa ville natale, pour essayer de comprendre pourquoi son père y a été assassiné de trois coups de feu dans la nuit du 1er novembre 1972. Irlandais installé à Bruxelles, celui-ci, selon la police, frayait avec le grand banditisme et aurait été victime d’un règlement de compte. Mais pour sa fille qui demeure inconsolable, ce meurtre reste mystérieux et c’est pour essayer de découvrir la vérité et de « voir clair dans son passé » qu’elle revient sur les lieux du crime.

Au fil des pages de ce récit joliment et subtilement mené, nous découvrons Charlie, le père de Louise, qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, a vécu à Berlin où il enseignait l’anglais à l’université et animait des émissions de radio en gaélique. Dans la capitale du IIIe Reich, il a fréquenté l’entourage de Von Ribbentrop et rencontré Céline qui lui a offert un exemplaire du Voyage au bout de la nuit avec cette dédicace : « A mon frère Celte, l’énigmatique Charles ». De fait, les énigmes sur sa vie au cours de cette période sont nombreuses : que faisait-il vraiment à Berlin ? Fut-il, de 1942 à 1944, le chef de la section irlandaise de l’Abwehr ? Comment a-t-il pu quitter l’Allemagne après la chute de la capitale du IIIe Reich ? S’est-il plus tard rendu en RDA et a-t-il travaillé pour la Stasi ? Autant d’interrogations qui rendent Louise encore plus perplexe lorsqu’un Français membre de la Commission européenne lui apprend que son père a organisé un trafic d’armes pour l’IRA, via la Tchécoslovaquie. L’hypothèse de son assassinat par le KGB l’effleure un moment, mais son interlocuteur penche plutôt pour les services secrets anglais, ce que dément formellement un ancien responsable de l’Intelligence Service, Lord Pakenham. Celui-ci révèle en revanche à Louise que lui et son père ont envisagé de faire signer un traité de paix entre Allemands et Alliés après la disparition du Führer. Le distingué « Lord of the Spies » lui avoue toutefois que Charlie a été un agent des services secrets de la République d’Irlande chargé de surveiller l’IRA, ses trafics d’armes et ses contacts avec le régime nazi…

Après l’effondrement du régime hitlérien, Charlie réussit à passer en Suisse, puis regagna l’Irlande, avant de se lancer dans les affaires et de s’installer à Bruxelles. Cela ne l’empêcha pas de reprendre ses activités d’agent double au service du gouvernement de Dublin et de l’IRA. Envoyé par cette dernière à Berlin pour obtenir des armes il eut pour « honorable correspondant » un ancien collaborateur de Von Ribbentrop, devenu colonel dans la Stasi et spécialiste des affaires irlandaises…

Outre les deux principaux protagonistes du livre, Charlie et Louise, un troisième personnage occupe une place importante dans le roman. C’est le mari de Louise, l’écrivain Liam O’Reilly, celui qu’elle appelle le « cher vieux druide », fidèle aux « anciens Dieux » et à « l’Ancienne Religion des feux et des purifications, des festins et des poèmes, de l’hydromel ambré dans les coupes, du saumon sacré… » Elle lui adresse régulièrement de longues missives qui sont comme le journal de bord de son enquête.

Si, grâce à ses multiples interlocuteurs, Louise a pu retracer le parcours « ondoyant et divers » de Charlie, elle n’a pas réussi à savoir par qui et pourquoi son père a été assassiné. Une dernière tentative lui permettra-t-elle de lever le mystère ? On laissera au lecteur le soin de découvrir le dénouement de cette « ténébreuse affaire ».

En toile de fond de l’enquête de Louise et de l’existence de Charlie, Bruxelles, cette « ville improbable et attachante », apparaît comme le cœur et l’âme du roman. Tout au long des cinq chapitres qui portent chacun le nom d’une rue ou d’une place bruxelloise, on passe de l’avenue de la Toison d’or à la chaussée de Charleroi, de la porte de Namur au passage du Nord, de la rue de l’Arbre-bénit à la place de Brouckère… La quête du père et de l’identité que poursuit Louise est en effet inséparable de ses déambulations dans la capitale belge. Celle-ci a beaucoup changé, certains de ses quartiers ont disparu, d’autres se sont complètement transformés, ressemblent désormais au Bronx ou sont en voie de « créolisation accélérée » ; la population de souche est parfois minoritaire et, dans le centre-ville, on croise désormais des « mahométanes en foulard ».

Porte Louise est un roman d’espionnage plus proche de ceux de John Le Carré ou de Vladimir Volkoff que de ceux de Gérard de Villiers ou de Ian Fleming. Mais en le lisant c’est surtout au film d’Éric Rohmer, Triple Agent, que nous avons songé, éprouvant le même plaisir à la lecture de l’un qu’au visionnage de l’autre. Comme l’écriture cinématographique de Rohmer, la langue de Christopher Gérard est élégante, concise et précise. Mais il écrit aussi avec gourmandise lorsqu’il évoque une dégustation de charcuterie du Sud-Ouest arrosée de « deux fillettes de Chinon frais, légèrement fumé […] doux comme du lait » ou, dans un restaurant libanais, un plateau de mezzés avec son « hachis vinaigré de persil, d’oignons et de tomates, [son] onctueuse purée de pois chiches et [son] caviar d’aubergine au goût fumé ». Ce fin gourmet lettré n’est pas non plus dénué d’humour : tel Alfred Hitchock dans ses films, l’auteur apparaît au détour d’une page de son livre et n’hésite pas à appeler Parvulesco le commissaire européen qui officie à Bruxelles… Ici encore, jeu de miroir littérature-cinéma et clin d’œil aux happy few puisque ceux-ci n’ignorent pas que le romancier et essayiste Jean Parvulesco apparaît notamment dans le film de Jean-Luc Godard A bout de souffle sous les traits de Jean- Pierre Melville, et en personne dans L'Arbre, le maire et la médiathèque d’Éric Rohmer.

Ce roman à la fois nostalgique et allègre, où des personnages captivants traversent le labyrinthe d’une ville et de l’Histoire, est un régal pour les amoureux de vraie littérature. A la manière du « Bien joué, Callaghan », expression utilisée à plusieurs reprises dans le livre et probablement empruntée à Peter Cheney, disons pour conclure « Bien joué, Gérard » !

Didier Marc
13/10/2010

Correspondance Polémia – 21/10/2010

lundi, 25 octobre 2010

L'accueil critique de "Bagatelles pour un massacre"

L'accueil critique de Bagatelles pour un massacre

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 

C’est un passionnant dossier de presse que propose André Derval. Toutes les grandes signatures ayant traité de Bagatelles à l’époque de sa sortie y sont réunies : de Brasillach à Gide en passant par Léon Daudet, Charles Plisnier, Lucien Rebatet ou Marcel Arland. Et d’autres qui ont sombré dans l’oubli aujourd’hui mais qui détenaient une autorité certaine à l’époque, tels André Billy ou Gabriel Brunet.
Ce dossier atteste que l’accueil du livre fut beaucoup moins clivé qu’on ne l’imagine aujourd’hui. Ainsi, les lecteurs, voire les rédacteurs, actuels du Canard enchaîné seraient sans doute étonnés d’apprendre que leur hebdomadaire commenta Bagatelles pour un massacre de manière très favorable : « Un livre libérateur, torrentiel et irrésistible » [sic]. C’est que, dans les années trente, l’antisémitisme était répandu dans tous les milieux, de la droite à la gauche. À ce propos, on peut regretter que, dans l’introduction, Derval s’abstienne de situer le livre dans son contexte politique. Soit, en France, un climat délétère suscité par les agissements en vogue sous la IIIème République. Évoquant les circonstances de la parution du livre, il se borne à rappeler la déception de Céline face au piètre accueil critique de Mort à crédit. Divers autres spécialistes de l’écrivain ont, eux, fourni bien des clefs permettant de comprendre la genèse du pamphlet. Tel célinien évoque « sa haine de la guerre, et par ricochet sans doute son antisémitisme (duplicité, « internationalisme » et avidité des banquiers et marchands de canons, synonymes de juifs) ¹ », tel autre explique son engagement « par le fait que, d’un naturel très personnel et volontaire, Céline n’était ni lâche ni hypocrite et n’était pas homme à rester sur les gradins quand d’autres se font étriper dans l’arène ². » Rien de tel sous la plume d’André Derval qui trace du pamphlétaire un portrait univoque. Ce n’est pas exonérer Céline de ses excès que de rappeler ses motivations réelles : la hantise d’une nouvelle guerre européenne (considérée par lui comme fratricide) et la défense d’une esthétique.
En revanche, l’intérêt du recueil est de donner à voir l’éventail de la réception critique, notamment celle émanant de la presse d’information juive. À ce propos, aucun des articles parus dans l’hebdomadaire belge L’Avenir juif n’a été référencé dans les bibliographies céliniennes. Apportons donc notre contribution à cette étude de l’accueil critique de Bagatelles en signalant l’un des articles publiés par ce journal. L’auteur n’y cache pas sa surprise de constater que l’imprécateur antisémite est « précisément Céline, le même qui, dans son Voyage, nous donna tout de même l’impression que sa révolte contre un ordre social où l’on s’accommode si allègrement de tant d’injustices ne relevait pas du dilettantisme verbal, d’autant plus qu’il sut trouver souvent des accents bouleversants parce que si indiciblement humains. » Et d’ajouter : « Nous nous sommes trompés. M. Céline n’est qu’un sinistre cabotin ³ ».

Marc LAUDELOUT

• André Derval, L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Écriture, coll. « Céline & Cie », 2010.

1. Jean-Paul Louis in Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Marie Canavaggia, 1936-1960, Gallimard, coll. « Les Cahiers de la Nrf » [Cahiers Céline 9], 2007, p. 328.
2. François Gibault in Louis-Ferdinand Céline, Céline et l’actualité, 1933-1961, Gallimard, coll. « Les Cahiers de la Nrf » [Cahiers Céline 7], 2003, p. 8.
3. N. Gutter, « Bagatelles pour un massacre », L’Avenir juif [Anvers – Bruxelles], 3ème année, n° 92, 11 mars 1938, p. 4d.

 

vendredi, 22 octobre 2010

Céline et les châtaignes grillées

Céline et les châtaignes grillées
 
...Que faisait Céline un certain soir d’octobre 1933 ? Il dégustait des châtaignes grillées en compagnie de confrères écrivains tels Pierre Mac Orlan, André Thérive, André Salmon, Léon Frapié ou Lucien Descaves. Une fois encore, c’est grâce aux patientes recherches (parallèles) d’Henri Thyssens et de Gaël Richard ¹ dans la presse française de l’époque que la biographie célinienne s’est enrichie de ce détail pittoresque.
C’est l’hebdomadaire satirique Bec et Ongles qui, le 21 octobre, relate ce fait sans en donner malheureusement la date. Cela se passe à la Brasserie Courbet, porte d’Orléans, à l’initiative du peintre Auguste Clergé (1891-1963) qui, l’année précédente, avait créé avec quelques autres artistes, le premier Salon populiste. Voici ce qu’écrit l’échotier sous le titre « Vernissage au Gaillac » :
« Un vernissage qui dure jusqu’à quatre heures du matin est un vernissage qui compte. Il est vrai que les invités, réunis autour d’un tonneau de vin de Gaillac, n’avaient pas besoin de ce qu’il y avait au mur pour prendre du bon temps. Il y avait à boire, il y avait à manger aussi. On était nourri ; châtaignes grillées à discrétion… La châtaigne donne soif, on buvait du Gaillac, le Gaillac donne faim, on mangeait des châtaignes. Ceci explique pourquoi on était encore là à quatre heures du matin.
Mais tout le monde n’était pas venu uniquement pour boire et manger.
Il s’agissait d’une exposition d’un genre très nouveau, dont l’initiative revenait au peintre Clergé. Des écrivains, et non des moindres, MM. Georges de Boutelier, Céline, Mac Orlan, Thérive, Salmon, Marcel Belger, Lucien Descaves, avaient calligraphié une page d’un de leurs livres sur une grande feuille de papier et des peintres avaient illustré ces textes au gré de leur fantaisie.
Cela s’appelait, on ne sait trop pourquoi, le Salon Populiste ². »
Dans un autre article, « Le Salon Populiste sous le signe des châtaignes », Charles Fegdal confirme la présence de l’écrivain : « J’aperçois, parmi la foule, M. Céline, très entouré, très pressé – il ne restera pas jusqu’au bout de la nuit ». Ce journaliste mentionne également le titre figurant sur le carton d’invitation (« Vernissage aux vieux vins et châtaignes grillées »), mais sans préciser, lui non plus, la date de cette manifestation ³. Tout au plus sait-on qu’elle eut lieu la deuxième ou, plus vraisemblablement, troisième semaine d’octobre 1933.
Commentaire de Henri Thyssens : « Voilà donc une manifestation assez inattendue à laquelle a participé Céline, grand auteur à la mode en 1933, mais qui n’est pas attestée ailleurs. Il serait curieux de retrouver, si elle a existé, cette grande feuille du papier Canson où Céline aurait calligraphié un extrait du Voyage, qu’un peintre inconnu aurait aquarellée… ».
Ce mois d’octobre 1933 est aussi celui où il prononce à Médan son « Hommage à Zola » à l’invitation de Lucien Descaves. Durant cette année 1933, suite à la parution du Voyage, il s’avère que Céline participa un peu à la vie littéraire, ou du moins ne déclina pas certaines invitations 4, comme il le fit généralement par la suite.

Marc LAUDELOUT

1. Tous deux effectuent des recherches à partir des collections numérisées de journaux disponibles sur le site internet de la Bibliothèque Nationale de France. Voir la « Chronologie biographique » sur le site de Henri Thyssens, « Robert Denoël, éditeur » [www.thyssens.com] et Gaël Richard, « Céline dans Bec et ongles (1933) » in L’Année Céline 2008, pp. 124-130.
2. ***, « Vernissage au Gaillac », Bec et ongles, n° 89, 21 octobre 1933.
3. Charles Fegdal, « Le Salon Populiste sous le signe des châtaignes », Une semaine à Paris, n° 596, 20-26 octobre 1933.
4. Notamment celle de Daniel Halévy, le 22 février 1933. Au cours de cette réception, il rencontre Lucien Daudet, Georges Bernanos, Robert Vallery-Radot et Robert de Saint-Jean qui s’en fait l’écho dans son journal.


 

lundi, 18 octobre 2010

Henry de Monfreid

Henry De Monfreid, il fascista che ispirò Hergé e Pratt finalmente pubblicato in Italia 

di Massimo Carletti
 
 
Dal Secolo d'Italia di giovedì 23 settembre 2010
 
 
Monfreid%20Pa.jpgDi Henry De Monfreid in Italia si sa poco o niente e sono scarse le traduzioni, disponibili tra l'altro solo da qualche anno. «L'ultimo vero filibustiere della letteratura europea» lo ha invece definito Stenio Solinas. «Ho avuto una ricca, irrequieta e magnifica» dichiarò lo scrittore alcuni giorni prima di morire all'età di 95 anni nel 1974. Prima che autore fu uomo di mare e d'avventure e iniziò a scrivere passati i cinquant'anni. Una seconda vita la sua, quella da scrittore. Anzi la terza. Perchè quando nasce, a La Franqui-Leucate (Aude), sulla costa mediterranea il 14 novembre 1879, c'è solo il mare a presagire che tipo di vita sceglierà.  
È figlio di George-Daniel de Monfreid e di Amèlie Bertrand. Il padre è un pittore-incisore, amico e rappresentante legale di Paul Gauguin. C'è da dire che se il destino è anche nei nomi, l'Henry è segnato nel suo come pochi altri. Il cognome "De Monfreid" è il nome d'arte scelto dalla nonna, Marguerite Barrière. Sposata, separata e conscia che la carriera di cantante lirica le lasciava poche speranze per il futuro, si fece amante di un ricco gioielliere americano, tale Gideon Reed. Ne rimase incinta e il facoltoso per non correre troppi rischi, le fece avere una nuova identità e poche preoccupazioni, mantenendola a vita.
 
Henry cresce tra le visioni di luoghi esotici nello studio parigino, e il mare di Cap Leucate, dove grazie al padre sarà iniziato alla navigazione a vela. Sono gli anni in cui conosce Victor Segalen, entrato in contatto con il padre in virtù dell'amicizia di quest'ultimo con Paul Gauguin.
Abbandonati gli studi il giovane Henry, dopo esser riuscito a evitare il servizio militare, pensa che è giunto il momento di metter su famiglia, prole compresa. Prende infatti con se Lucie d'Auvergne, ragazza già madre di un bambino al qual deciderà di dare il suo nome. Fa il venditore di caffè porta a porta. Poi torna a Parigi dal padre trovando impiego come lavamacchine e come autista. Nel 1907 e si stabilisce a Fécamp. Nel 1905 aveva avuto intanto il suo primo figlio da Lucien, Marcel. Nel 1908 lascia la ditta Maggi e investe in una fattoria. Poi lascia Lucien e con i due figli si trasferisce dal padre a Saint-Clement, ai piedi dei Pirenei. Vi passa un'intero anno di convalescenza, conoscendo tra l'altro la sua futura seconda moglie Armgart Freudenfeld, figlia dell'amministratore tedesco dell'Alsazia occupata. Riabilitatosi prende consapevolezza che la sua vita ha bisogno di una svolta e la fortuna vuole che un amico gli propone un impiego presso la ditta Guignony in Abissinia. È il 1911, ha 32 anni.
 
Accetta e da Marsiglia s'imbarca sul bastimento Oxus. Subito fraternizzerà con gli arabi. Rompe con la Guignony e assistito dal somalo Abdi che gli sarà sempre fedele ingaggia un equipaggio di dancali e inizia a esplorare il Mar Rosso dedicandosi alla pesca delle perle. Nel 1913 torna in Francia, in agosto sposa la seconda moglie. In ottobre riparte per Gibuti e con un carico d'armi percorre in largo e in lungo il Mar Rosso. Sopravvissuto a una tempesta si converte all'Islam prendendo il nome di Abd el Hai, "schiavo della vita", uno dei 99 nomi di Allah secondo i musulmani. Nel mese di dicembre viene arrestato per traffico d'armi e violazione dei codici doganali. Uscirà di galera tre mesi dopo, nel marzo del 1915. È l'anno in cui soffiano i venti della prima guerra mondiale, e lui si rende utile compiendo alcune missioni di spionaggio contro l'impero ottomano.
 
Nel 1916 chiama la moglie e la figlia a vivere con lui a Obock, dove nasceranno Amélie nel 1921 e Daniel nel 1922. Quello stesso anno trasportando lavoratori ad Aden nello Yemen, forza il blocco inglese, iniziando la sua personale guerra con l'amministrazione britannica. La quale nel 1917 lo dichiara "ospite indesiderato" e nel 1918 lo imprigiona a Berbera. Il suo "status" di collaboratore dei francesi gli vale però la "grazia". Finita la guerra continua i suoi traffici con l'Altair, il nuovo veliero che ha personalmente costruito, e mette a segno un colpo da maestro piazzando 12 tonnellate di hascisc contrabbandate dall'India all'Egitto sotto il naso degli inglesi. Con il ricavato compra una centrale elettrica e un mulino a Dire Dawa, in Etiopia. È il 1923 e a Gibuti arriva la giornalista americana Ida Treat, in viaggio di nozze con il marito Paul Valliant Couturier. Un veliero all'ancora nel porto attrae la loro attenzione: «Un europeo era a poppa. Difficile prenderlo per un somalo, ma non avrei saputo dire se era un arabo. Muscoloso, il suo corpo aveva il colore del tabacco. A testa scoperta, sotto il sole equatoriale, i piedi ben piantati, una fiera al sole. Una barca di somali gli passò vicino e i marinai lo salutarono con un grido ritmato: Addl-el Hai… Abdl-el Hai!». Era De Monfreid e i novelli sposi restano affascinati da quest'uomo che si nutre esclusivamente di thè. La giornalista ne narrerà le gesta, rendendolo una leggenda. Nel frattempo De Monfreid è a sua volta affascinato da quel che succede in Italia. È un estimatore di Mussolini e degli italiani in Etiopia. Nel 1926 incontra il gesuita francese Pierre Teilhard de Chardin, ne diviene amico e lo accompagna durante i suoi scavi archeologici. Due anni dopo accompagna Joseph Kessel in un suo reportage. E anche l'autore di Belle de jour resta affascinato dal personaggio De Monfreid, e parlerà ampiamente del suo caro «vecchio pirata». Ma fa di più, convince De Monfreid che deve raccontare la sua vita. E così De Monfreid passati i cinquant'anni comincia a scrivere e l'anno succesivo, nel '31, pubblica il suo primo libro, I segreti del Mar Rosso. È un successo e la sua fama diviene tale che Hergé lo fa diventare un personaggio delle storie di Tintin.
 
Ne I sigari del faraone appare infatti uno scaltro trafficante d'armi del Mar Rosso che salva Tintin dal mare. Due anni dopo esce Verso le terre ostili d'Etiopia, con critiche feroci a Haile Selassie. Il Negus non gradisce e lo espelle dal paese. Vi rientra però nel '36, con i suoi amici italiani che accompagna in quanto corrispondente di guerra per France Soir. È ora una vera celebrità, in Francia viene invitato alle serate di gala e vi si presenta in smoking e espadrillas, avendo un'odio viscerale per le scarpe. Nella prima metà degli anni Trenta pubblica una quindicina di romanzi e trova anche il tempo, nel '37, d'interpretare stesso nel film tratto dal suo primo libro.
 
Lo scoppio della seconda guerra mondiale lo coglie in Africa. Lui in Etiopia si mette a disposizione degli italiani. Nel '42 gli inglesi lo catturano. Viene rinchiuso con gli italiani in un campo di prigionia in Kenia. Quando nel '45 ne esce si ritira in una capanna alle pendici del Monte Kenia vivendo di caccia, scrivendo e dipingendo. Tornerà in Francia solo nel 1947, stabilindesi a Ingrandes. Lui ama andarsene in giro con un corvo sulla spalla destra. Per hobbies alleva manguste e si esibisce come chansonnier al Vieux Colombier. I suoi libri vengono sempre pubblicati per quella Grasset cui collabora ora anche Hugo Pratt, il futuro papà di Corto Maltese.
 
Pratt disegnerà le copertine dei romanzi di De Monfreid, già conosciuto probabilmente in Africa durante la guerra e ne farà uno dei personaggi nella serie a fumetti Gli Scorpioni del deserto. È plausibile inoltre che la vita e le vicende esotiche di De Monfreid abbiano non poco determinato quelle che saranno le caratteristiche di Corto Maltese. De Monfreid intanto, in quegli stessi anni entra nel dizionario francese e nel 1958, all'età di 79 anni, viene dato per morto quando assieme al figlio Daniel sparisce per dieci giorni nel tentativo di raggiungere le isole Mauritius su di un piccolo cutter. È ormai un arzillo ottantenne, caro amico di Jean Cocteau, il quale assieme ad altri spingerà per farlo eleggere all'Accademia di Francia. Ma non viene accettato per il suo passato "fascista". De Monfreid non ne fa un dramma e ultraottantenne collabora alla realizzazione di una serie di telefilm ispirata ai suoi romanzi. Va ancora in barca e la morte lo coglie solo nel '74 a 95 anni. Ha lasciato oltre 70 scritti e un gran numero di lettere, oltre a quadri e fotografie che raccontano tutta la sua vita. In Francia è una leggenda, mentre qui da noi è misconosciuto nonostante i legami con l'Italia. Solo negli ultimi anni una casa editrice specializzata in opere legate al mare, la Magenes, ha pubblicato i suoi primi due romanzi, I segreti del Mar Rosso (pp. 277, € 14,00) e La crociera dell'hascish (pp. 315, € 14,00).
Esce ora Avventure di mare (pp. 256, € 15,00): sarà un altro piccolo tassello nella conoscenza di un uomo straordinario, che ha attraversato un intero secolo, il più tumultuoso, tutto di corsa e senza mai voltarsi.

vendredi, 08 octobre 2010

Olivier Bardolle - Petit traité des vertus réactionnaires

 

 

Vient de paraître chez L'Editeur, ce Petit traité des vertus réactionnaires d'Olivier Bardolle, que nous vous conseillons.

Présentation de l'éditeur
En Occident, depuis près d'un demi-siècle, les idées progressistes tiennent le haut du pavé. Il semblerait pourtant que l'on redécouvre aujourd'hui certaines vertus à la pensée réactionnaire. Ne serait-ce qu'une capacité de résistance certaine aux ravages de l'hypermodernité et aux bienfaits immodérés de la pensée unique. Sans tomber dans le manichéisme propre à l'époque, ce petit traité, particulièrement tonique, dénonce les fausses valeurs avec jubilation et poussera chacun, qu'il se prétende de droite ou de gauche, à réviser son catéchisme idéologique. C'est ainsi qu'Eric Naulleau, réputé de gauche, n'a pas hésité à préfacer ce texte en toute indépendance d'esprit. A lire sans modération

L'auteur
Olivier Bardolle, né en 1952, est un essayiste reconnu et un interlocuteur recherché (on l'a vu plusieurs fois dans l'émission de Frédéric Taddeï, Ce soir ou jamais). Du Monologue implacable (Ramsay, 2003) à De la prolifération des homoncules sur le devenir de l'espèce (L'Esprit des Péninsules, 2008) ou à ce Petit traité des vertus réactionnaires, Olivier Bardolle tisse, dans la lignée de Philippe Muray (à qui ce dernier ouvrage est dédié), le portrait de l'hypermodernité avec sagacité, ironie, mordant et, ce qui n est pas encore interdit : érudition. Chacun de ses essais épingle la bien-pensance et les idées toutes faites de ses chers contemporains.

Olivier Bardolle, Petit traité des vertus réactionnaires, L'Editeur, 2010.
Commande possible sur Amazon.fr.

 

jeudi, 07 octobre 2010

Céline et L'Oréal

Céline et L’Oréal

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/ 

 

Il a beaucoup été question, cet été, de l’affaire Bettancourt. Elle oppose, comme on sait, Liliane Bettencourt à sa fille, avec en outre des interférences avec le gouvernement français. Quel rapport avec Céline ? Le 17 février 1942, dans une lettre à Lucien Combelle, il eut des mots très vifs à l’égard du père de Liliane, Eugène Schueller (1881-1957) : « Votre Shoeller [sic] avec toutes ses pitreries me semble bien youtre. Il ne parle jamais des juifs dans ses livres. Il paraît que son conseil d’administration recèle de forts puissants youtres, anglais et américains. » C’est que deux jours auparavant, dans son journal Révolution nationale, Combelle avait publié un grand article d’Eugène Schueller sur « Le salaire proportionnel ». Dans une société libérée du capitalisme libéral et des syndicats, qu’il appelait de ses vœux, les ouvriers eussent touché un triple salaire : un salaire d’activité, un salaire familial calculé en fonction de leur nombre d’enfants, et un salaire de productivité. Schueller avait déjà traité ce thème dans son livre, La Révolution de l’économie, paru l’année précédente et que l’auteur des Beaux draps avait certainement lu. Si Céline se méfiait de Schueller, c’est parce qu’il participait à la direction du RNP de Marcel Déat. Lequel était également suspect aux yeux de Céline en raison de ses liens avec la franc-maçonnerie et de son appartenance au monde parlementaire de la IIIe République que l’écrivain n’avait guère en haute estime. Coïncidence : en exil, Céline sympathisera avec le représentant de L’Oréal au Danemark, Georges Sales, et sa jeune épouse. « Ma compatriote, la petite bretonne... » dira d’elle Céline (1).
Qui était Eugène Schueller ? Ce chimiste génial mit au point les premières teintures capillaires de synthèse puis créa en 1909 la Société française de teintures inoffensives pour cheveux, futur L’Oréal. Devenu riche, le père de Liliane Bettencourt finança la fameuse Cagoule dans les années trente. C’est après la victoire du Front populaire que Schueller s’intéressa au mouvement nationaliste et devint l’intime d’Eugène Deloncle, l’un des chefs cagoulards. Avec ce dernier, Jean Fontenoy et Jacques Dursort, il fonda en octobre 1940 le Mouvement Social-Révolutionnaire (MSR) qui fit long feu. Les réunions de la direction du MSR se tenaient au siège de L’Oréal (14, rue Royale à Paris) (2). L’année suivante, il devint le président de la Commission des Affaires Économiques du RNP. Après la guerre, nombreux seront ceux qui, soit épurés, soit ayant appartenu au mouvement cagoulard, se verront embauchés chez L’Oréal. Dont Pierre Monnier qui fit toute sa carrière dans ce groupe à partir des années 50. À propos de Schueller, Céline, qui l’avait rencontré avant guerre chez Denoël, lui dira : « Il était aussi intelligent et intuitif que vous le dites, et bien entendu paranoïaque !... ». À l’Oréal, Monnier eut comme patron François Dalle (1918-2005) auquel l’homme d’affaires Jean Frydman reprocha publiquement – mais en 1995 seulement – d’avoir fait de l’entreprise un refuge d’anciens cagoulards et de collaborateurs.
André Bettencourt (1919-2007) ne fut pas davantage exempt de reproches. On lui fit grief des articles parus dans La Terre française (dont il assurait la direction) qui soutenaient activement la Révolution Nationale. Et qui étaient parfois franchement antisémites. Ensuite, l’histoire de L’Oréal est intimement liée à celle de la IVe et de la Ve République. Si Bettencourt fut plusieurs fois ministre, ce fut aussi le cas de son ami de jeunesse (qui témoigna à la Libération en faveur d’Eugène Schueller) : un certain François Mitterrand, beau-frère d’une nièce de Deloncle. Et l’on sait qu’il dirigea pendant deux ans Votre beauté, mensuel du groupe L’Oréal. On imagine les commentaires sarcastiques que toute cette histoire inspirerait aujourd’hui à Céline !

Marc LAUDELOUT

1. Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Age d’homme, 1979, p. 14.
2. Schueller faisait partie du Comité exécutif du MSR, présidait et dirigeait « toutes les Commissions techniques et Comités d’études » du mouvement (Révolution Nationale, n° 3, 26 octobre 1941).
Pour plus de détails, voir l’article de Bruno Abescat, « Les secrets de la première fortune de France », L’Express, 30 novembre 2000 (disponible sur http://www.lexpress.fr).

vendredi, 01 octobre 2010

Le Bulletin célinien n°323 (oct. 2010)

Le Bulletin célinien n°323 - Octobre 2010

 

Au sommaire du Bulletin célinien n°323 d'octobre 2010:

Marc Laudelout : Bloc-notes
M. L. : Les souvenirs de Naud et Tixier
David Alliot : Céline et ses juges
Thierry Bouclier : La défense de Tixier-Vignancour
André Brissaud : Louis-Ferdinand Céline est amnistié (1951)
Éric Mazet et Pierre Pécastaing : Naud le temporisateur
M. L. : L’accueil critique de « Bagatelles pour un massacre »
G. P. : Le paysage urbain crépusculaire dans « Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit » (II)
M. L. : Céline et les châtaignes grillées

Le numéro 6 euros à :
Le Bulletin célinien
B. P. 70
B 1000 Bruxelles 22

 

 

Le Bulletin célinien n°323 - Bloc-notes

 

Louis-Daniel Hirsch fut le directeur commercial des éditions Gallimard de 1922 à 1974. « Hirsch, ses amis, les cocos, Sartre, etc... » (1). Dixit Céline dans un bel amalgame. En exil, il est plus incisif : « C’est Hirsch qui commande la NRF comme Mayer commande la justice. Le reste est blabla (2). ». Vieilles obsessions… Mais il faut prendre garde à ne pas se laisser abuser par un être plus ambivalent que le laissent supposer ses ultimes invectives.
C’est le piège dans lequel est tombé Mikaël Hirsch, petit-fils du précédent, qui signe un roman dans lequel Céline tient une grande place (3). Le personnage central est Gérard Cohen qui se définit « demi-juif ». Jeune coursier des éditions Gallimard dans les années cinquante, il se rend fréquemment à Meudon pour y apporter le courrier mais se garde bien de révéler son identité. Crédible. Ce qui l’est moins, c’est que, dès la première rencontre, Céline l’appelle « mon p’tit Gérard » (!). Vétille…
Pour le reste, c’est un Céline conforme à sa légende noire qui est imaginé par l’auteur : « J’étais tout ce qu’il haïssait profondément. (…) Eût-il su qui j’étais, son attitude aurait certainement changé du tout au tout. » Voire... Mikaël Hirsch serait sans doute bien étonné d’apprendre qu’à la même époque, Céline sympathisait avec un militant sioniste, ancien agent du groupe terroriste Stern qui avait lutté contre la colonisation britannique en Palestine. Voici son témoignage : « Quand la presse israélienne, à l’époque, eut vent de ma correspondance avec Céline, elle m’a attaqué de façon absolument ignoble. Ce qui ne m’a pas empêché de rencontrer Céline à deux reprises chez lui, à Meudon. Nous avons évoqué bien entendu la question juive. À sa demande pressante, je lui ai décrit l’aventure des premiers colons socialistes qui rêvaient d’une société nouvelle et s’étaient acharnés, dans des conditions impossibles, à défricher des marais, à fertiliser des déserts. “Je dois vous dire que j’admire profondément ces gens-là”, me disait-il, et je savais qu’il était sincère, qu’il avait une très grande considération pour l’État d’Israël (4) ». Singulier contraste avec l’antisémitisme rabique attaché à la figure de Céline jusque dans les dernières années de sa vie. Ainsi récolte-t-on ce que l’on a semé…
L’antisémitisme est chez lui l’arbre qui cache la forêt : un profond attachement à la sauvegarde de la race. À un autre admirateur juif, il écrivait : « Il est temps que l’on mette un terme à l’antisémitisme par principe, par raison d’idiotie fondamentale, l’antisémitisme ne veut plus rien dire — On reviendra sans doute au racisme, mais plus tard et avec les juifs — et sans doute sous la direction des juifs, s’ils ne sont point trop aveulis, avilis, abrutis. » Et dans une lettre ultérieure : « ...Les juifs sont précisément les premiers et les plus tenaces racistes du monde. Il faut créer un nouveau racisme sur des bases biologiques, les éléments existent (5). »
Ceci nous éloigne assurément de la figure convenue de l’ermite de Meudon décrite par Mikaël Hirsch. Dommage car, dans un roman évoquant le Céline des dernières années, il y avait là un thème qu’il eût été intéressant d’esquisser. Cette simplification n’enlève rien au talent de l’auteur. Le constat vaut pour le style et cette manière de transcender ses obsessions et sa fascination mêlée de répulsion pour un écrivain de génie.

Marc LAUDELOUT

1. Lettre à Gaston Gallimard, 8 décembre 1954 in Lettres à la N.R.F., 1931-1961, Gallimard, 1991, p. 264.
2. Lettre à Pierre Monnier, 12 mai 1950 in P. Monnier, Ferdinand furieux, L’Age d’homme, 1979, p. 133.
3. Mikaël Hirsch, Le réprouvé, L’Éditeur, 2010.
4. Éric Mazet, « Quatorze lettres à Jacques Ovadia » in L’Année Céline 1991, Du Lérot / Imec, 1992, pp. 55-66.
5. Lettres à Milton Hindus des 14 juin et 10 août 1947 in M. Hindus, L.-F. Céline tel que je l’ai vu, L’Herne, 1969, pp. 148 et 161.

jeudi, 23 septembre 2010

Louis-Ferdinand Céline - An Anarcho-Nationalist

Louis-Ferdinand Céline

An Anarcho-Nationalist

Ex: http://www.counter-currents.com/

Celine04.jpgIn his imaginary self-portrayal, the French novelist Louis-Ferdinand Céline (1894–1961) would be the first one to reject the assigned label of anarcho-nationalism. For that matter he would reject any outsider’s label whatsoever regarding his prose and his personality. He was an anticommunist, but also an anti-liberal. He was an anti-Semite but also an anti-Christian. He despised the Left and the Right. He rejected all dogmas and all beliefs, and worse, he submitted all academic standards and value systems to brutal derision.  Briefly, Céline defies any scholarly or civic categorization. As a classy trademark of the French literary life, he is still considered the finest French author of modernity—despite the fact that his literary opus rejects any academic classification. Even though his novels are part and parcel of the obligatory literature in the French high school syllabus and even though he has been the subject of dozens of doctoral dissertations, let alone thousands of polemics denouncing him as the most virulent Jew-baiting pamphleteer of the 20th century, he continues to be an oddity eluding any analysis, yet commanding respect across the political and academic spectrum.  Can one offer a suggestion that those who will best grasp L. F. Céline must also be his lookalikes — the replicas of his nihilist character, his Gallic temperament and his unsurpassable command of the language?

Cadaverous Schools for Communist and Liberal Massacres

The trouble with L. F. Céline is that although he is widely acclaimed by literary critics as the most unique French author of the 20th century and despite the fact that a good dozen of his novels are readily available in any book store in France, his two anti-Semitic pamphlets are officially off limits there.

Firstly, the word pamphlet is false. His two books, Bagatelles pour un massacre (1937) and Ecole des cadavres (1938), although legally and academically rebuked as “fascist anti-Semitic pamphlets,” are more in line with the social satire of the 15th century French Rabelaisian tradition, full of fun and love-making than modern political polemics about the Jewry. After so many years of hibernation, the satire Bagatelles finally appeared in an anonymous American translation under the title of Trifles for a Massacre, and can be accessed online.

The anonymous translator must be commended for his awesome knowledge of French linguistic nuances and his skill in transposing French argot into American slang. Unlike the German or the English language, the French language is a highly contextual idiom, forbidding any compound nouns or neologisms. Only Céline had a license to craft new words in French. French is a language of high precision, but also of great ambiguities. Moreover, any rendering of the difficult Céline’s slangish satire into English requires from a translator not just the perfect knowledge of French, but also the perfect knowledge of Céline’s world.

Certainly, H. L. Mencken’s  temperament and his sentence structure sometimes carry a whiff of Céline. Ezra Pound’s toying with English words in his radio broadcasts in fascist Italy also remind  a bit of Céline’s style. The rhythm of Harold Covington’s narrative and the violence of his epithets may remind one a wee of Celine’s prose too.

But in no way can one draw a parallel between Céline and other authors—be it in style or in substance. Céline is both politically and artistically unique. His language and his meta-langue are unparalleled in modern literature.  To be sure Céline is very bad news for Puritan ears or for a do-good conservative who will be instantly repelled by Céline’s vocabulary teeming as it does with the overkill of metaphorical “Jewish dicks and pricks.”

Trifles is not just a satire. It is the most important social treatise for the understanding of the prewar Europe and the coming endtimes of postmodernity. It is not just a passion play of a man who gives free reign to his emotional outbursts against the myths of his time, but also a visionary premonition of coming social and cultural upheavals in the unfolding 21st century. It is an unavoidable literature for any White in search of his heritage.

These weren’t Hymie jewelers, these were vicious lowlifes, they ate rats together . . . They were as flat as flounders. They had just left their ghettos, from the depths of Estonia, Croatia, Wallachia, Rumelia, and the sties of Bessarabia . . . . The Jews, they now frequent the guardhouse, they are no longer outside… When it comes to crookedness, it is they who take first place . . . All of this takes place under the hydrant! with hoses as thick as dicks! beside the yellow waters of the docks… enough to sink all the ships in the world . . . in a décor fit for phantoms . . . with a kiss that’ll cut your ass clean open . . . that’ll turn you inside out.

The satire opens up with imaginary dialogue with the fictional Jew Gutman regarding the role of artistry by the Jews in the French Third Republic, followed by brief chapters describing Céline’s voyage to the Soviet Union.

Between noon and midnight, I was accompanied everywhere by an interpreter (connected with the police). I paid for the whole deal. . . . Her name was Natalie, and she was by the way very well mannered, and by my faith a very pretty blonde, a completely vibrant devotee of Communism, proselytizing you to death, should that be necessary. . . . Completely serious moreover…try not to think of things! …and of being spied upon! nom de Dieu! . . . . The misery that I saw in Russia is scarcely to be imagined, Asiatic, Dostoevskiian, a Gehenna of mildew, pickled herring, cucumbers, and informants. . . . The Judaized Russian is a natural-born jailer, a Chinaman who has missed his calling, a torturer, the perfect master of lackeys. The rejects of Asia, the rejects of Africa. . . . They were just made to marry one another. . . . It’s the most excellent coupling to be sent out to us from the Hells.

When the satire was first published in 1937, rare were European intellectuals who had not already fallen under the spell of communist lullabies. Céline, as an endless heretic and a good observer refused to be taken for a ride by communist commissars. He is a master of discourse in depicting communist phenotypes, and in his capacity of a medical doctor he delves constantly into Jewish self-perception of their physique . . . and their genitalia.

The peculiar feature of Céline narrative is the flood of slang expressions and his extraordinary gift for cracking jokes full of obscene humors, which suddenly veer off in academic passages full of empirical data on Jews, liberals, communists, nationalists, Hitlerites and the whole panoply of famed European characters.

But here we accept this, the boogie-woogie of the doctors, of the worst hallucinogenic negrito Jews, as being worth good money! . . . Incredible! The very least diploma, the very least new magic charm, makes the negroid delirious, and makes all of the negroid Jews flush with pride! This is something that everybody knows. . . . It has been the same way with our own Kikes ever since their Buddha Freud delivered unto them the keys to the soul!

Mortal Voyage to Endtimes

In the modern academic establishment Céline is still widely discussed and his first novels Journey to the End of the Night and Death on the Installment Plan are still used as Bildungsromane for the modern culture of youth rebellion. When these two novels were first published in the early 30s of the twentieth century, the European leftist cultural establishment made a quick move to recuperate Céline as of one of its own. Céline balked. More than any other author his abhorrence of the European high bourgeoisie could not eclipse his profound hatred of leftist mimicry.

Neither does he spare leftists scribes, nor does he show mercy for the spirit of “Parisianism.” Unsurpassable in style and graphics are Céline’s savaging caricatures of aged Parisian bourgeois bimbos posturing with false teeth and fake tits in quest of a rich man’s ride. Had Céline pandered to the leftists, he would have become very rich; he would have been awarded a Nobel Prize long ago.

In the late 50’s the burgeoning hippie movement on the American West Coast also tried to lump him together with its godfather Jack Kerouac, who was himself enthralled with Céline’s work. However, any modest reference to his Bagatelles or Ecole des Cadavres has always carefully been skipped over or never mentioned. Equally hushed up is Céline’s last year of WWII when, unlike hundreds of European nationalist scholars, artists and novelists, he miraculously escaped French communist firing squads or the Allied gallows.

His endless journey to the end of the night envisioned no beams of sunshine on the European horizon. In fact, his endless trip took a nasty turn in the late 1944 and early 1945, when Céline, along with thousands of European nationalist intellectuals, including the remnants of the French pro-German collaborationist government fled to southern Germany, a country still holding firm in face of the oncoming disaster. The whole of Europe had been already set ablaze by death-spitting American B17’s from above and raping Soviet soldiers emerging in the East. These judgment day scenes are depicted in his postwar novels D’un château l’autre (Castle to Castle (French Literature))  and Rigadoon
.

Céline’s sentences are now more elliptic and the action in his novels becomes more dynamic and more revealing of the unfolding European drama. His novels offer us a surreal gallery of characters running and hiding in the ruins of Germany. One encounters former French high politicians and countless artists facing death—people who, just a year ago, dreamt that they would last forever. No single piece of European literature is as vivid in the portrayal of human fickleness on the edge of life and death as are these last of Céline’s novels.

But Céline’s inveterate pessimism is always couched in self-derision and always stung with black humor. Even when sentenced in absentia during his exile in Denmark, he never lapses into self pity or cheap sentimentalism. His code of honor and his political views have not changed a bit from his first novel.

Upon his return to France in 1951, the remaining years of Céline’s life were marred by legal harassment, literary ostracism, and poverty. Along with hundreds of thousands Frenchmen he was subjected to public rebuke that still continues to shape the intellectual scene in France. Today, however, this literary ostracism against free spirits is wrapped up in stringent “anti-hate” laws enforced by the thought police— 70 years after WWII! Stripped of all his belongings, Céline, until his death, continued to use his training as a physician to provide medical help to his equally disfranchised suburban countrymen, always free of charge and always remaining a frugal and modest man.

From The Occidental Observer, March 24, 2010, http://www.theoccidentalobserver.net/authors/Sunic-Celine...

mardi, 21 septembre 2010

Louis-Ferdinand Céline et Roland Cailleux

Louis-Ferdinand Céline et Roland Cailleux

La création d'un site consacré à Roland Cailleux, www.roland-cailleux.weebly.com, écrivain méconnu, est l'occasion de rappeler le lien Céline-Cailleux.

Le volume Avec Roland Cailleux paru au Mercure de France (coll. " Ivoire ") en 1985, hommage à cet excellent auteur méconnu, comportait un important entretien de 1961 avec Céline que Philippe Alméras cite assez largement dans son Dictionnaire Céline. Mais au fur et à mesure de la mise à jour des archives Cailleux, d'autres commentaires apparaissent, dont celui-ci, daté du 19 juin 1957.
L’admiration pour le phénomène de la littérature française est, comme toujours, entière. Cailleux, cependant, place des bémols sur la sincérité de Céline, ses rapports à la chose littéraire, à l’argent, etc. Même plus que des bémols... Il s’exprime avec un excès de violence qui appelle une remarque : Cailleux souffrait de cyclothymie. Il subissait en alternance deux ans de déprime et deux ans de réactivité accrue. Très vraisemblablement se trouvait-il dans la seconde phase en abordant le cas Céline de la sorte. Cette notion précisée, la pièce n’en a que plus de spontanéité et, à ce titre, mérite d’être versée au dossier.
À cette occasion, il ne sera pas inutile non plus de rappeler le rôle que joua Roland Cailleux dans la genèse des Deux Étendards de Lucien Rebatet. Ils s’étaient connus à l’école Bossuet, où l’un était élève quand l’autre était pion. Une amitié de toute une vie s’en était suivie, indéfectible au point que Roland fut le plus fidèle soutien et visiteur de son aîné à Fresnes, extrayant de la clôture, page à page, le manuscrit du condamné. Il est le destinataire des Lettres de prison, de Rebatet, publiées en 1993 au Dilettante. Précisons toutefois que si la fidélité de Cailleux était légendaire, il n'approuvait pas les idées de Rebatet et, à plusieurs reprises par le passé, l'avait mis en garde.
Roland Cailleux (1908-1980) a partagé sa vie entre l’exercice de la médecine thermale à Chatel-Guyon pendant l’été, et une vie littéraire, l’hiver, dans les milieux de la N.R.F. Il fut le très exigeant et rare auteur de cinq livres: Saint-Genès ou la vie brève, Une lecture, Les Esprits animaux, À moi-même inconnu, et (posthume) La Religion du Cœur.

Christian DEDET


Le 19 juin 1957

Après avoir écrit à Nimier que je n'écrirai pas d'article sur Céline, j'ai envie de parler de lui aujourd'hui.
Il y a des mois, quand j'ai été le voir avec Nimier justement (je l'avais vu depuis la guerre une autre fois à Meudon, mais seul), il nous a lu le premier et le dernier chapitre d'Un château l’autre. On ne peut pas juger sur une lecture bien sûr (d'autant plus que Céline bafouille et accroche sans arrêt), mais il m'a semblé que je retrouvais l'auteur de Voyage et de Mort à crédit. Je suis sorti de là en disant à Nimier que c'était incontestablement le plus grand écrivain vivant. Je le pensais en entrant, et si la lecture avait été décevante je n'en aurais pas moins pensé la même chose. Mais j'aurais dit: le plus grand d'écrivain vivant baisse ou déconne, ce que j'ai dit pour pas mal d'ouvrages depuis Mort à crédit: les politiques avant tout, et ceux qui ont paru depuis son retour, excepté Casse-pipe. Mais j'ai beaucoup aimé des tas de morceaux des Entretiens avec le Professeur Y, et j’ai lu tout haut Normance (ça me paraissait mieux lu de cette façon, il est vrai que je ne l'ai pas terminé).
Entre-temps, Nimier l'a relancé, comme je lui écrivais hier, Céline lui doit une fière chandelle. J'avais moi-même écrit, quelques jours après ma visite à Céline, une lettre où je lui disais l'admiration profonde que j'ai pour lui et ma joie que c'était de connaître le plus grand écrivain français vivant, que, d'après cette lecture, on avait l'impression qu'on l'avait retrouvé.
Depuis, j'ai téléphoné à Nimier pour lui demander ce qu'il y avait dans l'intervalle, entre le premier et le dernier chapitre, et il ne m'a pas caché que c'était moins bon, il n'est pas fou, Ferdinand, en ayant l'air de feuilleter au hasard (tout en nous assurant avec un culot insensé, que tout était parfait dans son livre).
Depuis, le travail de Nimier a été effectif; le bouquin n'a pas encore paru et on ne parle que D’un château l’autre. C'est très bon pour Céline, mais c'est tout de même de curieuses mœurs. Ils me font chier avec leurs avant-premières; ça ressemble à de la publicité pour un savon gras qu’on lance. Ils vous détergent, c’est le meilleur, c’est insensé, quelle peau ça vous fait, oh, là, là, et personne ne s’est encore lavé, on n’a pas vu le produit. C’est du délire collectif. Faut-il que les gens soient bêtes et moutonniers ! Il doit bien rigoler Céline. Vous parlez d’un lancement. Tout ça n’est évidemment pas sérieux. Que Céline soit bien content parce que ça va se vendre, d’accord, mais que ça soit bon, j’attends de voir!
Oh, c'est très bien fait. Non seulement la presse de droite donne, dans Rivarol, Poulet qui avait été dur pour Normance et Féerie pour une autre fois, redélire (1). L'a-t-il lu, ce nouveau bouquin? Je n'en sais rien, car il n'en parle pas, ça sera pour un second article.
Dans la Nouvelle Revue Française, Nimier a fait un catéchisme tordant pour présenter Céline, et il y a un long extrait de Céline, c'est le début de son bouquin qu'il nous avait lu, avec: "À suivre" (2). Aujourd'hui, dans Arts, où on avait déjà reproduit la présentation presque intégrale de Nimier auparavant, il y a une interview de Céline, un très bon article de Bernard de Fallois sur le style de Céline (mais pas sur D’un château l’autre), et quatre jeunes romanciers parlent de lui aussi (3).
Enfin, ça c'est le plus beau succès de Nimier, j'imagine, il a trouvé le moyen de lui faire prendre un interview dans L’Express, où Céline met par terre tous les imbéciles du journal en dépit d'un chapeau dégueulasse de Françoise Giroud, d'un second chapeau avant l'interview et de dessins assez infâmes de Jean Eiffel (4). L'interview d'Arts est mauvaise, tandis que celle de L’Express est merveilleux car Céline y est prodigieux.

Céline a le front, dans Arts, aujourd'hui, de reconnaître qu'il est devenu le "faits-divers" à la mode et qu'il en donne aux interviewers pour leur argent. C'est bien mon avis, c'est pourquoi je n'écrirai pas d'article.
Autant il était bon d'en parler quand personne n’en disait rien, autant il est ridicule de prendre la suite du snobisme à la mode. Nous attendrons qu’il soit de nouveau dans la panade pour en reparler. En ce moment, il nous casse les pieds.
Et la panade d'ailleurs!...
Il se les est roulés pendant la guerre, et surtout pendant; il gueulait comme un sourd qu'il crevait de faim, et les gens marchaient. Je les connais, moi, les combines de Voyage et de Mort à crédit, et les éditions de luxe, et Gen Paul, qui bariolait avec un peu d'aquarelle ses gravures sur une édition de luxe pour la revendre un peu plus cher, sous les nazis, j'ai vu ça. Il y en avait d'autres qui crevaient de faim à ce moment-là, c'était pas Céline. Ça a changé quand il a foutu le camp, assez ignoblement, sans prévenir les copains, et puis, quand il a été en prison au Danemark. Mais à Sigmaringen, je connais la musique, moi, et il ne la raconte pas dans D’un château l’autre. Rebatet m'a raconté, j'en aurais, moi aussi, à dire. Seulement, moi je n'étais pas là-bas. Je comptais les tickets d'alimentation. J'avais pas des lingots de côté. Aussi je n'avais pas à les emporter avec les Allemands. Il avait un grand ami, Céline: Le Vigan. Il faut voir comment il l'a laissé tomber (5) . C'est pas croyable. Seulement, si moi, j'y étais pas, il y a des gens qui y étaient et qui sont encore vivants. Pour peu qu'ils parlent, on va voir déballer un joli linge sale. Je suis persuadé que Céline s'en fout, pourvu qu'il se vende. Mais il faut avouer qu'il s'est bien vendu, au sens précis du terme (au pluriel). Il nous fait suer, c'est le plus grand écrivain vivant, d'accord, mais c'est un beau salaud. Il a toute honte bue, le cochon, il a prétendu après guerre, qu'il avait pas été antisémite, qu'on avait mal compris. Aujourd'hui, il nous raconte dans Arts que c'était le plus grand ennemi d'Hitler. Je suis persuadé qu'il aimait pas Hitler, mais quand il écrivait dans les feuilles les plus antisémites et quand il publiait Les Beaux draps (là, il se retenait, il n'a pas pu trouver les vaincus), ça n'était pas joli, joli; ils étaient grassement payés, les articles dans les feuilles antisémites. Ne vous inquiétez pas, il n'avait pas de difficultés avec les tickets d'alimentation. D'ailleurs, il le sait bien, il le reconnaît qu'il est une ordure, aussi. Il n'y avait pas besoin de savoir non plus des détails sur sa vie privée (la façon dont il a traité ses enfants [sic] et ses petits-enfants qu'il ne voulait pas voir, qu'il ne recevait pas quand il crevait d'argent), pour le deviner, il n'y avait qu'à le lire (7). Le Bardamu, c'est aussi une crapule, un dégueulasse, ça n'est pas moi qui le dit: c'est lui. Et Robinson, qui est son double? Comme Monsieur Verdoux est le double du Charlot des Lumières de la ville, il est ignoble, et le fait de l'avouer n'enlève rien à sa saloperie.


Moi, pauvre idiot, quand j'ai appris qu'on fondait le prix des Écrivains médecins et que tous les médecins de un à cent dix ans pouvaient s'y présenter (il y avait Pierre Dominique (8) qui avait de la bouteille et le Doyen de la Faculté de Médecine, ce vieux con de Binet qui avait le front de se présenter aussi, et des tas d'autres, tous des merdes... tout de même Duhamel n'avait pas osé), j'ai été voir Mondor, et je lui ai dit: "Y en a qu’un, un seul, c’est Céline, c’est à lui qu’il faut donner le prix", il a été un peu épaté. J’ai l’impression qu’il ne savait pas très bien ce qu’était Céline à ce moment-là. J’exagère. D’ailleurs, il s’est rattrapé depuis, et il a fait pour Céline tout ce qu’on pouvait faire. Un homme admirable, Mondor (9).
Malheureusement, à ce moment-là, ce n'était pas possible, paraît-il, de lui donner le Prix, il était trop marqué pour le genre de Jury du Prix des Médecins Écrivains. On me l'a donné à l'unanimité quand Mondor m'a dit que je devais me présenter. Ça ne m'a pas rapporté la réédition de mon livre qui était épuisé. Les journalistes, à la sortie du Prix, n'ont pas pu le trouver chez Gallimard. J'avais une publicité formidable huit ans après la publication de Saint Genès, mais ça ne m'a servi rigoureusement à rien. Il n’est toujours pas réédité, Saint Genès. Alors, moi aussi, je l'aime Gallimard, comme Céline, seulement j'ai plus de raisons.
Ça m'a tout de même rapporté deux cent mille francs, ce Prix. Je n'avais pas beaucoup d'argent, j'étais criblé de dettes à ce moment-là, et puis, moi j'avais gardé mes enfants, pas comme Céline. J'ai tout de même téléphoné à Marcel Aymé pour lui demander si Céline n'était pas dans la panade, autant qu'on le disait, et pour savoir si je devais lui envoyer l'argent. Marcel Aymé m'a dit de ne pas faire une pareille sottise et que Céline se démerdait très bien, et c'était vrai qu'il avait touché des millions de ses éditeurs qu'il vilipendait. Moi, quand je touche cinquante ou cent mille francs d'avance, je suis bien épaté, et mon Saint Genès n’a été tiré qu’à six mille. Quant à Une lecture et Les Esprits animaux, il y en a encore plein les réserves. Et on les avait tirés pourtant qu'à trois mille, à 10 % que ça me rapporte, calculez combien je suis riche.

Alors, de la pitié pour Céline, je veux bien, mais c'est pas moi qui l'aie obligé à faire de la politique, il n'avait qu'à rester médecin comme moi. Paie un peu trop sa connerie, c'est vrai, mais pourquoi a-t-il été si con? Il gémit aujourd'hui dans Arts parce qu'il s'est trompé de cas. C'est un comble. Il voudrait la place de Mauriac, il est écœurant.

J'ai entendu aussi Rebatet raconter ça, qu'il s'était trompé de cas et que c'était sur Staline qu'il aurait dû miser. Ah, ils sont propres, nos pamphlétaires !

Mais ils ont des excuses. Le second surtout qui n'a aucun sens pratique, tandis que Céline est beaucoup plus roué. Il crie à la misère et à force de la crier, ça prend. Il peut pas manger, il faut qu'il fasse son marché lui-même, il n'a pas d'auto, il est vieux, sa femme travaille (ça c'est vrai, mais ça ne doit pas rapporter beaucoup, avec ses leçons de danse, à Meudon!), mais enfin il n'en serait pas là (si vraiment il en est là) s'il n'avait pas fait tout ce qu'il a fait. Oui, il a eu une vie difficile (mais pas en Amérique où il a épousé une femme américaine, qui était riche (11), mais pas à la Société des Nations où il avait une planque confortable, mais pas, encore une fois, au temps du succès et surtout au temps des Allemands). Où ils sont passés, ces lingots? Il se plaint qu'on lui ait tout barboté dans son appartement, même les murs. Tel que je le connais, quand il avait foutu le camp, il n'avait pas dû laisser grand-chose. Il n'a rien retrouvé quand il est revenu. Admettons-le. Il est déchu national (12). On s'en fout. Mais enfin, les millions qu'il a eus au retour, qu'est-ce qu'il en a fait? C'est une question que lui pose Parinaud dans Arts ce matin. Il prétend qu'il cherche une combine qui lui permettrait de gagner les vingt mille ou trente mille francs qui, en plus de sa retraite, lui permettraient de vivre. "— Mais votre éditeur vous a déjà avancé des millions et avec ce livre il vous fait une rente"; il ne trouve qu’à répondre, le Céline (c’est pas brillant): "Qui vous a dit ça?" Réponse de Parinaud: "C’est mon métier de savoir." Alors une dérobade insensée de Céline: "Cela ne m’empêche pas de manger des nouilles et de boire de l’eau", à quoi l’autre rétorque excellemment: "Le Docteur Destouches sait mieux que personne pourquoi Céline est au régime." Dernière riposte de Céline qui éclate de rire: "J’ai toujours été masochiste et con."

On ne peut pas mieux dire.
D'autre part, il a été grand mutilé de guerre de 1914, et il a des droits sur nous, mais peut-être pas le droit de s'engraisser sous les Allemands, pas le droit de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, et de crier à la misère. Il l'a tout de même achetée, sa maison de Meudon (13) . C'est ce qu'il voulait dans Les Beaux draps, et que tous les Français aient un pavillon en banlieue et cent francs par jours. Maintenant, ça ferait trois mille francs. Je suis tranquille, il les a, et il a même un grand jardin. C'est lui qui nous prend pour des cons. Il a raison d'ailleurs, ça réussit toujours. Je ne donnerai pas cher de la reconnaissance qu’il aura pour Nimier (11) . On verra bien. Mais à la façon dont il a traité Paulhan qui a fait tout pour lui, au moment où c'était le plus difficile, et sur lequel il bave déjà dans le Professeur Y et plus encore dans D’un château l’autre, ça promet du joli. Nimier, d'ailleurs, s'en moque. Encore une fois, on verra bien.

Ceci dit, et les choses mises un peu au point, je me sens tout à fait à l'aise pour parler de mon admiration pour notre plus grand écrivain vivant. vais même faire une conférence à Cambridge sur lui. Tout ça c'est des intentions bien sûr, et je suis cossard. Je suis généreux, mais paresseux. Je suis généreux quand Céline est par terre, mais je suis aussi vaniteux, et quand Céline dans L’Express déclare qu'il n'y a pas un écrivain de la jeune génération qu'il connaisse et qui en vaille la peine, j'ai envie de lui foutre mon pied dans le cul. D'ailleurs, il ne lit pas, il écrit des sottises insensées sur Proust dans Bagatelles pour un massacre. En dépit de la citation que fait aujourd'hui Fallois sur le même Proust, dans les Voyages. Il n'y a que Céline qui compte. Aucune importance, c'est ce qui fait sa force.

Je suis injuste. Je ne crois pas lui avoir envoyé Une lecture, et je ne sais pas s'il a lu Les Esprits animaux. S'il les a lus, il a bien le droit de ne pas les aimer (quoique ça pourrait lui plaire). Mais pour Saint Genès je le lui ai envoyé en lui demandant de me dire ce qu'il en pensait. Et, direct, et sans fioritures, il m'a répondu. Une belle lettre.

Donc, il faudrait parler avant tout de son style. Fallois, qui prétend en parler, ne fait que des citations. Il y a eu un article de Claude Jamet pendant la guerre, que je voudrais me procurer, mais que je n'ai pas lu (14) . Je n'ai rien de sérieux sur son style, la seule chose sérieuse. D'ailleurs, aucun critique ne parle du style, il en serait incapable. Ou bien ils le pignochent au microscope, comme Marcel Berger. Ils n'y comprennent rien. C'est que c'est très difficile. Il n'y a que les auteurs qui pourraient bien en parler. C'est pour ça que j'aime tant quand ça arrive. C'est exceptionnel. Ils n'ont pas le temps. Ils y réfléchissent en écrivant. Pour leur propre compte. Ce ne sont pas des critiques. Mais il y a, heureusement, deux ou trois bouquins de Gide, et, les dépassant infiniment, le Contre Sainte-Beuve de Proust.
Et puis aussi quelques notes de Céline sur son style dans les Entretiens avec le Professeur Y.
C'est de là qu'il faudrait partir, car il sait tout de même de quoi il parle. Ce qui n'empêcherait pas de contrer tout ce qu'il y a de mauvais dans son style, sa facilité... son désossement, son manque de rigueur, tout ou à peu près tout ce qui a paru depuis Voyage et Mort à crédit. Il écrit ou il éjacule. On n'écrit pas un bouquin uniquement avec des cris de jouissance ou de torture. Ça fait poétique à bon compte. Lui aussi, il est responsable de la décadence de la langue française, il l'a désarticulée, liquéfiée, tout est à refaire; tu parles d'un trait de décomposition! Il faudra absolument que j'en parle de ce côté-là, c'est nouveau.

Et puis, il n'est pas unique, ça n'est pas un météore, on oublie que James Joyce avait commencé.
Dutourd, aujourd'hui, cite, ce qui est beaucoup moins profond, Vallès, Rictus, Barbusse et Vadé (!) au dix-huitième. Et Restif de la Bretonne. C'est bien facile.
Mais il n'y a pas que son style qui — j'y reviens, et ce n'est pas contradictoire — est admirable aussi. Dans Voyage, Mort à crédit, et Casse-pipe.
Il y a aussi son merveilleux bon sens, ça n'est pas d'aujourd'hui que les fous, les délirants, font sortir la vérité de leur bouche comme les enfants. C'est affolant, elle est toute nue, c'en est même obscène. Mais c'est ça. C'est criant, c'est scandaleux. J'adore ça. C'est vrai, ça me suffit. Pas: dégueuler, vomir. Chier à la face.
Montaigne, c'est très bien, mais c'est tout de même précieux par rapport à Céline. Au dix-septième siècle, n'en parlons pas. Ils ont tous des perruques dans leur style, et La Bruyère a des côtés petit marquis, Montesquieu est voltairien avant la lettre, il est persan à sa manière. Au dix-huitième, les encyclopédistes ont tout de même des crinolines. Et Rousseau est une chochotte, qui se balance majestueusement sur son escarpolette à la Gide. Ah, les belles tirades! Ah, je m'aime-t-y! Ah, je m'en fous! Au dix-neuvième, c'est le délire ou la comédie. Romantiques ou hérétiques, toujours moqueurs, ou presque tous. Depuis Rabelais, on n'avait plus entendu ça. Et encore Rabelais avait-il une bonne couche moyenâgeuse, des replis hercyniens de culture.
Oui, l'arrivée de Céline a été un grand moment de la littérature française.

Roland CAILLEUX
Source


Notes
1. Allusion au bref article de Robert Poulet paru le 13 juin 1957 dans Rivarol. La critique littéraire proprement dite parut le 4 juillet. À noter que le livre sortira le 20 juin, le lendemain même de la rédaction de ces notes dictées par Roland Cailleux à sa secrétaire.
2. "Céline au catéchisme", article sous forme de questions-réponses, par Roger Nimier, accompagné de bonnes feuilles de D’un château l’autre, La N.N.R.F., juin 1957.
3. Cette interview d'André Parinaud était accompagnée d'une enquête auprès de quatre jeunes romanciers : Jean Dutourd, Pierre Gascar, Jacques Perret et Roger Vailland.
4. Cette interview, faite (à l'instigation de Nimier) par Madeleine Chapsal et titrée "Voyage au bout de la haine ", parut le 14 juin 1957, soit une semaine avant la sortie du livre en librairie.
5. Robert Le Vigan fit pourtant l'éloge de Céline lors de son procès.
6. En réalité, Céline a toujours refusé d'être payé pour les lettres-articles qu'il donnait parfois à la presse.
7. "[Destouches] vint voir son père à Meudon plusieurs fois, et ils se téléphonaient assez souvent, mais il lui interdit de lui amener ses enfants. Quand elle insistait, il répondait toujours qu'il était trop sensible, qu'il s'attachait trop facilement, surtout aux enfants. Il refusait d'aller au-devant de nouvelles affections et préférait les ignorer pour n'avoir pas ensuite à en souffrir" (François Gibault, Céline, III, Mercure de France, 1981, p. 306).
8. Pierre Dominique (1891-1973).
9. Henri Mondor, futur préfacier de Céline dans la Pléiade et témoin à décharge lors du procès devant la Cour de justice de Paris.
10. "Oh que cela est magnifique ! Quelle résurrection ! grâce à vous !...". Lettre de Céline à Roger Nimier (17 juillet 1957) in Lettres à la N.R.F., 1931-1961, Éd. Gallimard, 1991.
11. Allusion à Elizabeth Craig que Roland Cailleux croit donc avoir été l'épouse de Céline.
12. Céline avait été déclaré en état d'indignité nationale.
13. Le pavillon de Meudon fut acquis grâce à un héritage que fit Lucette Destouches.
14. Allusion à un article intitulé "Préliminaires à l'esthétique de L.-F. Céline" paru le 25 mars 1944 dans Révolution nationale. Cet article sera repris en 1948 dans le recueil d'articles de cet auteur, Images mêlées de la littérature et du théâtre (Éditions de l'Élan).

 

 

vendredi, 17 septembre 2010

Bulletin célinien n°322

Le Bulletin célinien n°322

Septembre 2010

Au sommaire du Bulletin célinien n°322 de septembre 2010 :

Marc Laudelout : Bloc-notes
La citation du mois (Michel Marmin)
Frédéric Saenen : Céline et le droit. Entretien avec Maître François Gibault
Marc Laudelout : Céline et L’Oréal
Jean Rougerie : Adapter Céline au théâtre (1979)
Paul Chambrillon : Mon ami Jean Rougerie
G. P. : Le paysage urbain crépusculaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit (I)
Jean-Paul Louis : L’Année Céline 2009

Un numéro de 24 pages, 6 euros franco de port:

Le Bulletin célinien
B. P. 70
B 1000 Bruxelles 22

 
 
À l’instar de leur écrivain de prédilection, certains céliniens, même s’ils ne sont pas nécessairement aussi sobres qu’il l’était, ont « la mémoire atroce des buveurs d’eau (1).» En 2003, Jean-Paul Louis rendit compte du livre d’Émile Brami (2). Critique peu amène, jugez en par sa conclusion : « Force est de remarquer que le tunnel où il nous entraîne n’a ni entrée, ni sortie, ni voies de dégagement. Sans hauteur de vue, sans vision pittoresque, il est d’époque, étroit et répétitif (3).» Sept ans plus tard, Émile Brami n’a pas oublié cette flèche du Parthe : « Au contraire de beaucoup de céliniens, je n’ai pas besoin que Céline soit un saint laïc. Certains de ses admirateurs inconditionnels veulent que ce soit un grand écrivain et un homme parfait. Cela m’est complètement égal. Un célinien bien connu appelle Céline “le vieux”, comme si c’était son père. Un père idéal, puisque c’est un “vieux” de substitution qu’il s’est inventé et choisi. Et l’éreintement le pire que j’ai eu à propos de Céline vient de ce monsieur, parce que justement, je montrais dans la biographie que j’ai écrite certaines facettes de Céline qui étaient peu glorieuses (4). » Je me garderai bien de porter un jugement sur cette querelle. Cela étant, l’éditeur de L’Année Céline a été suffisamment pris à partie par ses pairs ces derniers temps (5) pour que l’envie ne me prenne – non pas de le défendre (il est assez grand garçon pour le faire tout seul) – mais de dire la réalité des choses. Dans son article, Jean-Paul Louis s’attachait surtout à mettre en lumière plusieurs erreurs d’interprétation de l’auteur. À l’époque, j’en avais relevé d’autres (6). Mais présenter (sans le nommer, soit dit en passant) ce célinien comme un admirateur inconditionnel de l’écrivain est excessif. S’il n’a jamais dissimulé son attachement profond pour la figure de l’écrivain (7), il a néanmoins marqué ses distances avec le pamphlétaire sans que cette prise de position ne soit motivée par quelque conformisme convenu. Ainsi, à propos des fameux textes interdits : « Ce n’est pas donné à tout le monde d’exprimer les plus mauvaises idées au plus mauvais moment, dans les termes les moins adéquats. » (8) Quant à considérer que Jean-Paul Louis voit en Céline une figure paternelle parce qu’il l’appelle, avec une ironie teintée d’empathie, « le Vieux », n’est-ce pas verser dans la psychanalyse de bazar ? (9) Pour le reste, nous sommes quelques uns à admirer Céline tout en regrettant pour sa mémoire qu’il se soit commis avec des « crapules d’exhibition qui polluaient dans des cloaques (10). »

Marc LAUDELOUT

1. « Je possède, médecin, buveur d’eau, non fumeur, une mémoire atroce. »(Lettre de Céline à Jean Galtier-Boissière, mars 1953)
2. Émile Brami, Céline. « Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple... », Écriture, 2003.
3. [Jean-Paul Louis], « Livres reçus. Céline (II) », Histoires littéraires, vol. IV, n° 16, octobre-novembre-décembre 2003, pp. 178-180.
4. Émile Brami, « Pour qui aime la littérature, il y a des écrivains indispensables » [propos recueillis par Joseph Vebret], Le Magazine des Livres, n° 25, juillet-août 2010, pp. 36-38.
5. Le Canard enchaîné, sous la plume d’un célinien patenté, a déploré qu’il défende parfois Céline « bec et ongles jusqu’à l’indéfendable ». La revue Études céliniennes, elle, estime que certains de ses commentaires « laissent une impression de malaise » [sic].
6. Marc Laudelout, « Le Céline d’Émile Brami », Le Bulletin célinien, n° 246, octobre 2003, pp. 3-5.
7. « Le lecteur verra que je ne cherche pas à cacher mon attachement pour Céline, pour son art, du meilleur au pire : curieuse sympathie qui se développe, entre un écrivain et son éditeur, par-delà le temps qui les sépare, sans laquelle nul ne saurait lire, comprendre et faire connaître quelque œuvre que ce soit. » (Lettres à Marie Canavaggia, 1936-1960, Gallimard, 2007, p. 33).
8. Jean-Paul Louis, « Ménage de printemps » in Autour de Céline, 3, Le Lérot rêveur, n° 57, printemps 1994, pp. 23-26.
9. D’autant que l’explication est plus simple : « Je l’appelle : le Vieux, par référence à Flaubert qui, on le sait, désignait Sade ainsi dans les lettres familières. » (Jean-Paul Louis, Histoires du Vieux et autres nouvelles in Le Lérot rêveur, n° 59, printemps 1999, p. 12).
10. Le mot est de Pol Vandromme qui ajoute : « Il faut se rappeler ce qu’était Au Pilori, officine de délation où des stipendiés en proie au délire se flattaient de leurs mouchardages. Que le plus grand écrivain du siècle participe à la carmagnole en compagnie d’individus tarés et de propagandistes tarifés a de quoi scandaliser l’esprit le plus indulgent à l’inconscience des littérateurs. » (Pol Vandromme, Journal de lectures, L’Age d’Homme, 1991, pp.65-66.)

 

samedi, 28 août 2010

Jean Mabire: de quelques écrivains guerriers

De quelques écrivains-guerriers

Jean Mabire

Ils sont ici un peu moins d’une vingtaine – deux groupes de combat avec leur équipe de voltige et leur pièce d’appui – qui seraient parfois surpris de se trouver ensemble. Les conflits qu’ils ont vécus se suivent et ne se ressemblent pas, tout au long de ce bref quart de siècle où la France a réussi à perdre trois guerres et à n’en gagner qu’une seule, dans le sillage d’alliés qui ont fait le plus gros de la besogne. Mais ces hommes, quels sont-ils? Des écrivains ou des guerriers? Les deux, tour à tour et parfois en même temps.

Remarquons d’abord qu’il y a peu de professionnels. Les guerres modernes ont été tragiquement vécues par ceux dont ce n’était pas le métier. Aussi ne se trouve-t-il qu’un seul saint-cyrien dans cette cohorte: Pierre Sergent. Et encore il intégra Coët en 1944, après avoir été volontaire dans un maquis.

Et Marcel Bigeard? Mais c’est le type même de l’officier sorti du rang, qui commence sa carrière avec les godillots de 2e classe et la termine avec les étoiles de général. Sans la captivité et surtout sans la Résistance, il serait resté petit employé de banque, peut-être directeur d’une succursale dans une sous-préfecture des marches de l’Est. Bigeard n’en reste pas moins l’exemple même de ceux que les événements ont révélé à lui-même: ce n’est pas un militaire, c’est un soldat. Ce n’est pas un mince compliment. Il ne deviendra écrivain que sur le tard, à l’âge de la retraite (mot qu’il n’aime pas) et des Mémoires. Il y nourrit ses nostalgies guerrières de quelques jugements parlementaires menés, selon son habitude, tambour battant.

Son âge lui a permis de participer à toutes les guerres: 39-40, la résistance, 44-45, l’Indo, l’Algérie, sans compter quelques aventures qui ne sont plus qualifiées aujourd’hui «coloniales», mais seulement «extérieures». De tous les guerriers de ce recueil, il reste le plus incontournable et de tous les écrivains, le moins nécessaire. Mais quel personnage!

Ce n’est pas sur une réputation militaire que s’est établie la renommée de Guy des Cars. Cet aristocrate devenu un des champions du roman populaire à gros tirage a pourtant fait, à trente ans, une entrée fracassante dans la république des Lettres, en 1941, avec un superbe récit, L’Officier sans nom, dans lequel il racontait avec un accent de vérité indéniable ce que fut sa guerre de 39-40.

On a trop oublié que l’armée française devait laisser sur le terrain cent vingt mille tués. Le fameux devoir de mémoire plaçait alors le sacrifice de ces garçons en priorité absolue dans le souvenir de leurs compatriotes. S’ils ne sont pas aujourd’hui totalement oubliés, c’est entre autres à Guy des Cars qu’on le doit.

Après cette brève et désastreuse expérience militaire, il devait remiser à jamais son uniforme dans la naphtaline d’une vieille cantine et on ne le verra plus sur un champ de bataille. Mais il représente fort bien l’itinéraire des meilleurs de sa génération. Quant à sa trajectoire d’écrivain, elle est plus honorable que ne veulent l’avouer ces critiques envieux qui l’avaient surnommé «Guy des Gares».

À la même génération appartient Marc Augier. Si sa campagne de 39-40 ne fut guère mémorable, il devait se rattraper par la suite. Militant socialiste et pacifiste du temps du Front populaire, il avait commencé une originale carrière de journaliste, de motard et de campeur, publiant un assez beau récit sur un Solstice en Laponie. Après avoir partagé les espoirs et les rêves de ses camarades des Auberges de la jeunesse, Les Copains de la belle étoile, on le retrouve animateur d’un mouvement d’adolescents au temps de ce qu’on nommait l’Europe nouvelle. Il n’était pas homme à inciter ses garçons à aller se battre en Russie sans s’y rendre lui-même, sous-officier de la LVF et correspondant de guerre. Il en ramènera un court récit, Les Partisans, et une réputation de maudit qui lui collera à jamais à la peau. Pourchassé et exilé en Amérique du Sud, le réprouvé Augier deviendra le romancier Saint-Loup. Sans une indiscrétion sur son passé, il aurait sans doute obtenu le prix Goncourt en 1952. Il fera mieux et réussira à gagner un public vite fanatique d’une œuvre qui doit beaucoup à ses expériences vécues dangereusement.

De la demi-douzaine de garçons qui ont choisi la Résistance et se retrouvent ici, on peut d’abord dire qu’ils étaient jeunes, très jeunes même quand ils ont choisi leur camp, au risque de leur peau. Ils n’avaient rien écrit, sauf quelques dissertations scolaires quand ils se sont lancés dans la bagarre.

Alain Griotteray fut du premier rendez-vous, celui qui lança quelques étudiants devant l’Arc-de-Triomphe par un glacial 11 novembre d’occupation. Cette manifestation trop oubliée fut le prélude d’un mouvement de défi qui porta les plus intrépides vers les maquis.

Pierre de Villemarest choisit pour sa part ce massif montagneux, véritable forteresse naturelle qui devait devenir le plus célèbre haut lieu des combattants de la nuit et du brouillard: le Vercors.

Pierre Sergent se retrouve en Sologne, soldat sans uniforme, en un temps où les volontaires ne se bousculaient pas, car les occupants tenaient solidement le pays. Il choisit ainsi d’entrer dans la carrière des armes par la porte la plus étroite et la plus rude.

Le maquis de Roger Holeindre, ce fut le pavé de Paris où il joua au Gavroche sur les barricades, s’emparant de haute lutte d’une mitrailleuse ennemie et gagnant à jamais le droit d’ouvrir sa gueule quand poussèrent comme champignons les fameux «résistants de septembre», une fois l’orage de feu apaisé.

André Figueras réussit à fuir le pays occupé et à rejoindre l’armée régulière, ce qui lui valut de revenir au pays pistolet-mitrailleur au poing et coiffé du béret noir des commandos.

Sergent, comme les quatre autres, a vécu assez pour se faire traiter de «fasciste» par ceux qui arborent à la boutonnière le triangle rouge des déportés politiques devenu l’insigne de «Ras l’front», plus d’un demi-siècle après la fin de la dernière guerre, tout danger écarté.

Parmi les cent soixante-dix-sept Français qui débarquèrent de vive force sur les côtes normandes à l’aube du 6 juin 1944, se trouvait un garçon de 19 ans. Ce jeune Breton de Cornouailles avait déjà réussi un exploit en rejoignant l’Angleterre à bord d’un minuscule rafiot à voile. Il se nomme Gwen-Aël Bolloré et sert alors comme quartier-maître infirmier.

Une belle carrière l’attend: chef d’entreprise, océanographe, éditeur, poète, romancier, mémorialiste. L’ancien du commando Kieffer sera lié avec toutes les personnalités de la république des Lettres. Mais son plus grand titre de gloire est d’avoir défié le pouvoir, en s’en prenant au général-président, dont il n’approuvait guère la politique algérienne. Il avait montré du courage et du talent. Il devait prouver alors qu’il avait aussi du caractère, chose surprenante chez un personnage aussi convivial.

Ceux pour qui la résistance – la vraie – prenait fin avec la défaite du iiie Reich et le jugement de Nuremberg, n’en avaient pas fini avec le combat. En Extrême-Orient, une guerre s’allumait. Les Viets arboraient l’étoile des anciens alliés soviétiques. La croix gammée fracassée, cette étoile devenait pour eux le symbole de l’ennemi. Pas question de se mettre à écrire tranquillement. Des volontaires partaient à l’autre bout du monde. Les meilleurs servaient dans les parachutistes, vite légendaires. On allait y retrouver nos anciens résistants: Holeindre avec le béret rouge des paras coloniaux et Sergent avec le béret vert des légionnaires paras.

Bientôt les rejoint un jeune sous-lieutenant qui devait devenir, quelques années plus tard, le plus célèbre des écrivains guerriers, garçon qui fit ses universités à Diên Biên Phu. Il se nommait Erwan Bergot. Comme tous ses camarades d’aventure indochinoise, il allait être marqué par ce «mal jaune», grande nostalgie maladive du Sud lointain.

Servant comme chef de section dans les rangs du bataillon Bigeard, il se révélera le meilleur parmi les meilleurs. Une promotion de l’école des élèves-officiers de réserve de l’école d’Infanterie de Montpellier portera un jour son nom. Les jeunes aspirants qui ont choisi ce patron se réclamaient à la fois du combattant et de l’écrivain, car il fut l’incarnation exemplaire de ces deux vocations exigeantes.

L’année même où tombaient l’un après l’autre les pitons aux noms de femmes disséminés dans la sinistre cuvette choisie par le haut-commandement, un autre feu s’allumait en Algérie. Bigeard devait y construire sa légende tout au long de la «piste sans fin» où progressaient ses léopards, l’index crispé sur la queue de détente de leur MAT 49. Un jour, devenu général, député, ministre, il écrira des livres. Pour le moment, c’est sur le terrain qu’il se veut maître et seigneur.

Cette guerre, où combattent côte à côte gens de métier et gars du contingent, va être la grande aventure de toute une nouvelle génération. Seuls les aînés comme Holeindre ou Sergent ont connu la résistance et seul Bergot – comme son chef Bigeard – a vécu l’enfer des camps viets, où la mortalité était pire qu’à Dachau ou à Tambow. Leurs camarades, futurs écrivains, mais provisoires combattants, sont des garçons dont ce n’est pas le métier de se battre, mais qui vont se débrouiller aussi bien que leurs aînés des maquis et des rizières.

Rien ne distingue, sur les superbes photos prises par l’officier marinier René Bail, ancien de l’Aéronavale, les appelés et les professionnels. Ils portent la même tenue camouflée, ils ont le même visage ruisselant de sueur sous la casquette de combat.

Dans cette armée qui passe ses nuits et ses jours dans les djebels, rien ne sépare les gradés de leurs hommes. Ils partagent tout. Et la soif et la peur et le froid («L’Algérie est un pays froid où le soleil est chaud», disent les anciens). Ils vivent en plein vent, dans la caillasse et la boue, dans le sable et les ronciers. Finalement, ils ont le même âge ou presque et se ressemblent étrangement en cette fin des années cinquante de notre siècle.

Les soldats d’outre-Méditerranée sont alors en train de durement gagner sur le terrain, tandis que d’autres à Paris vont jeter la crosse après le fusil, comme on jette le manche après la cognée. Cette défaite programmée fera d’eux des rebelles et même des hors-la-loi, marqués à jamais par cette expérience tragique du courage et de la peur, où ils ont vu tomber pour rien les meilleurs de leurs camarades.

Ce fut une sacrée équipe que celle de ces soldats plus ou moins perdus, dont les chemins par la suite ne vont cesser de se croiser et de se recroiser. En voici une demi-douzaine, dont l’amertume et la lucidité ne vont pas faire oublier les dures joies de la camaraderie et de l’enthousiasme. Nous les découvrons côte à côte, une dernière fois, sur cette terre d’Algérie (et de Tunisie pour l’un d’eux) qui les a tant marqués: le quartier-maître de fusiliers marins commandos Georges Fleury, le brigadier de chasseurs d’Afrique Jean Bourdier, le sergent de chasseurs à pied Dominique Venner, le lieutenant de tirailleurs Philippe Héduy, le lieutenant d’alpins Jean Mabire.

À eux cinq, appelés ou rappelés, ils incarnent des vertus militaires que ne désavouèrent pas le «vieux» briscard parachutiste Roger Holeindre qui n’a guère soufflé depuis la Résistance et poursuit en Algérie les opérations de commando inaugurées en Indochine.

Leurs chansons, leurs crapahuts, leurs combats impressionnent fort un garçon plus jeune qu’eux, fils et petit-fils de soldats, marqué au fer rouge par la disparition en Indochine de son père, un légionnaire d’origine russe. Ainsi, par le privilège du sang versé par les siens, Serge de Beketch figure ici à côté de ses aînés.

Tout comme le romancier Serge Jacquemard, très jeune témoin des atrocités de plusieurs guerre  celle d’Espagne où ses parents furent pris en otage, celle de l’Occupation et de ses rigueurs et celle du coup d’État en Indonésie qui porta Suharto au pouvoir pour plusieurs décennies. S’il ne fut pas véritablement guerrier lui-même, sa rencontre avec le Bat’ d’Af’ Maurice H. influencera une grande partie de son œuvre.

Et puis, pour beaucoup, ce sera le retour, le retour écœurant dont parlait Pierre Mac Orlan. Viendront le complot, l’aventure, la prison, l’exil, ce qu’ils nomment parfois «la politique» et qui n’est pour eux qu’une nouvelle manière de se battre. Ils ne seront pas des journalistes ou des écrivains «comme les autres». Leurs articles ou leurs bouquins gardent toujours l’empreinte de combats vécus avant d’être rêvés. Ils sont à jamais différents du monde des civils, méprisant cette «civilisation» qui a voulu transformer les centurions en boutiquiers. Ils ne marchent pas dans la société marchande. Ils sont à jamais libérés du libéralisme. Ils savent que la vie est une lutte et que toutes les armes comme toutes les ruses y sont bonnes.

Ils ne croient pas plus à la droite qu’à la gauche. Ils savent que la première des consignes, dans la paix comme dans la guerre, est de garder ses distances… Ils étaient des soldats d’occasion. Ils ne sont pas vraiment sûrs d’être des écrivains de métier. Ils savent seulement qu’il n’est plus possible de tricher. Leur encre aura toujours le goût du sang.

* * *

Préface au livre Ils ont fait la guerre de Philippe Randa (en vente sur www.dualpha.com).

lundi, 05 juillet 2010

Se Cioran il nichilista scopre l'amore assoluto

Se Cioran il nichilista scopre l'amore assoluto

di Mario Bernardi Guardi

Fonte: secolo d'italia


 



Se c'è uno scrittore che, per la sua vocazione apocalittica e il suo moralismo bruciante, cupo e derisorio, si presta a definizioni "tranchant", questo è Emil Michel Cioran. Di volta in volta battezzato "barbaro dei Carpazi", "eremita antimoderno", "esteta della catastrofe", "apolide metafisico", "cavaliere del malumore cosmico". Ma anche lui, da buon Narciso, ci ricamava sopra e sulla sua "carta di identità" scriveva cose come "idolatra del dubbio", "dubitatore in ebollizione", "dubitatore in trance", "fanatico senza culto", "eroe dell'ondeggiamento". Ora, raccontare Cioran significa fare i conti con tutti questi appellativi e prendere atto che la loro indubbia suggestione trova punti di forza in una vita per tanti versi scandalosa...
 Visto che prima del Cioran "parigino"- è nel 1937 che il Nostro approda in Francia -, capace di confezionare le sue aureee sentenze nihilistico-gnostiche in un brillantissimo francese, c'è un Cioran duro e puro, di fiera stirpe rumena, che fa propri i miti del radicamento e dell'identità, simpatizzando per il fascismo di Codreanu e delle sue Guardie di Ferro, e scrivendo un bel po' di cose "compromettenti". Di questo, Antonio Castronuovo in un agile profilo pubblicato da Liguori, Emil Michel Cioran (pp.100, euro 11,90), dà solo rapidi cenni, ricordando che, comunque, Emil Michel dedica un intero capitolo del suo "Sommario di decomposizione", alla "Genealogia del fanatismo", collocandosi così "all'opposto delle fascinazioni giovanili". E cioè delle, chiamiamole così, "fascio-fascinazioni".
Ora, Castronuovo fa bene a ricordarci, con la consueta eleganza, il grande "stilista" e il grande "moralista", lo scrittore impertinente e beffardo che si interroga sul senso della vita e della morte, il chierico extravagante che cerca di stanare Dio dai suoi misteri e dai suoi abissali silenzi. E tuttavia siamo convinti che Cioran e altri "dannati" dello scorso secolo - Pound e Céline, Drieu e Heidegger, Eliade e Jünger, tanto per fare i primi nomi che ci vengono in mente - non debbano essere alleggeriti dalle loro "responsabilità" con la vecchia storia dei "peccati di gioventù", una specie di rituale giustificativo-assolutorio che li "disinfetta" e li rende "presentabili", ma toglie loro qualcosa, e cioè la "ragioni" di una scelta. Per scandalose che possano apparire alle "animule vagule blandule" del "politicamente corretto". Ed è per questo che, a suo tempo, non ci è dispiaciuto il saggio di Alexandra Laignel-Lavastine Il fascismo rimosso: Cioran, Eliade, Ionesco nella bufera del secolo che, sia pure con una "vis" polemica non aliena da faziosità, si sforza di illuminare/documentare le stazioni di una milizia intellettuale che sarebbe sbagliato ignorare o sottovalutare. Non si può esaurire la forza testimoniale di Cioran nell'ambito delle acuminate provocazioni, immaginandone la vita come una fiammeggiante costellazione di (coltissime) invettive. Sia dunque reso merito a Friedgard Thoma che ci racconta un Cioran innamorato (Per nulla al mondo. Un amore di Cioran, a cura e con un saggio di Massimo Carloni, (L'orecchio di Van Gogh, pp.160, € 14,00), addirittura un Cioran "maniaco sentimentale": un genio dell'aforisma, ma anche un umanissimo, fragile, tenero settantenne, tutto preso da lei, giovane insegnante tedesca di filosofia e letteratura, che, folgorata dalla lettura del libro L'inconveniente di essere nati, nel febbraio del 1981 gli ha scritto una calda lettera di ammirazione. C'è da stupirsi del fatto che Cioran non fosse "corazzato" di fronte ai complimenti di una donna intelligente e affascinante? Come, lui, l'apocalittico, così inerme, così indifeso! Eppure, in Sillogismi dell'amarezza è proprio il "barbaro dei Carpazi" a invitarci a tenere la guardia alta di fronte al vorticoso nichilismo degli "apocalittici" e magari a scavarvi dentro. «Diffidate - scrive - di quelli che voltano le spalle all'amore, all'ambizione, alla società. Si vendicheranno di avervi "rinunciato". La storia delle idee è la storia del rancore dei solitari». Dunque, Cioran, uomo di idee ma anche di emozioni, compiaciuto per quella lettera affettuosa, risponde immediatamente alla sua "fan", con un mezzo invito ad andarlo a trovare a Parigi.
Lei, che ci tiene ad essere una interlocutrice culturale e cita Walser, Hölderlin e Gombrowicz, non manca di allegare alla risposta una sua foto. E siccome si tratta di una donna giovane - capelli sciolti, bocca carnosa, sguardo intenso -, le coeur en hiver di Cioran comincia a battere furiosamente. Lui stesso le confesserà un paio di mesi dopo: «Tutto in fondo è cominciato dalla foto, con i suoi occhi direi». E' una tempesta dei sensi, un'"eruzione emotiva". Ancor più incontrollabile, allorché lei decide di trascorrere qualche giorno a Parigi. Lui va a prenderla all'hotel e arriva dieci minuti prima: è «un uomo di costituzione fragile, con un ciuffo di capelli grigi, arruffati, e gli occhi dello stesso colore». Lei «cerca di apparire attraente, indossando un abito nero non troppo corto, sotto un lungo cappotto chiaro». Seguono conversazioni, passeggiate, cene, visite a musei, telefonate… Cioran vive una sorta di voluttuoso invasamento, al punto che, quando lei torna a Colonia, le scrive con spudorata audacia: «Ho compreso in maniera chiara di sentirmi legato sensualmente a lei solo dopo averle confessato al telefono che avrei voluto sprofondare per sempre la mia testa sotto la sua gonna». Poi, è lui ad andarla a trovare in Germania. «Vestita di rosso e nero», Friedgard lo accoglie alla stazione. Lui è innamorato pèrso, lei, sedotta intellettualmente, continua a sedurlo fisicamente, senza nulla concedere. Lui soffre, la chiama «mia cara zingara», le scrive: «Non capisco cosa sto cercando ancora in questo mondo, dove la felicità mi rende ancora più infelice dell'infelicità». Friedgard vuol tenere intatte "venerazione e amicizia", parlando di autori e di libri, entrando nella sua intimità, portando alla luce le sue contraddizioni. Ma confessando anche, con franchezza: «Dunque, caro: lei mi ha trascinato nell'immediatezza inequivocabile d'una relazione fisica, mentre io cercavo l'erotica ambiguità della relazione "intellettuale"». Proprio quella che a Cioran non basta. È innamorato, desidera la giovane prof. con una sensualità "vorace", le fa scenate di gelosia perché lei, ovviamente, ha un "compagno" cui è legata.
«Sono vulnerabile - le scrive - e nessuno quanto Lei può ferirmi tanto facilmente». E consolarlo, anche. Così, la immagina nelle vesti di una suora, "dalla voce sensuale però". E come uno studentello inebriato d'amore, che non rinuncia alle battute, confessa che vorrebbe morire insieme a lei: «A una condizione, però, che ci mettessero nella stessa bara». Così potrebbe raccontarle tante cose, «tante, ancora non dette».
Non manca nemmeno la proposta di matrimonio. Friedgard annota: «Al telefono, Cioran si dilettava volentieri con la proposta di sposarmi, contro tutti i suoi principi, addirittura secondo il rito ortodosso ("su questo devo insistere"), il che per lui significava essere cinti entrambi da corone. Quante risate, su un sogno triste». Un sogno che, così, non poteva continuare. La non appagata, sofferta, estrema accensione dei sensi di Emil «s'incanalerà negli anni lungo i binari d'una tenera, affettuosa amicizia». Nella cui calma piatta si spengerà fatalmente la "tentazione di esistere", carne e spirito almeno una volta insieme.

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